plume de Mangin certaines libertés, et il en profitait. Le 5 mai 1867, il lança l’appel ; le 5 septembre, à Genève, le premier de ces congrès se réunissait. Ce fut un vrai congrès de la guerre, tout au moins de la guerre civile, que ce « Congrès de la paix et de la liberté. » Les Suisses, qui lui donnaient l’hospitalité, ne tardèrent point à être émus. Dans les semaines mêmes qui précédèrent, les Bâlois et quelques Vaudois avertirent les organisateurs qu’ils n’entendaient point que les questions constitutionnelles fussent témérairement soulevées. Les Genevois, moins chatouilleux, s’alarmèrent moins vite ; mais peu s’en fallut qu’à la dernière séance du congrès deux de leurs hommes d’Etat, Fazy et Carteret, ne fissent passer une motion d’ordre qui aurait restreint la portée révolutionnaire des décisions de l’assemblée. Les congressistes érigeaient en principe qu’il était impossible de créer un droit international sans renouveler les institutions politiques européennes ; et volontiers ils eussent appelé de leurs vœux le jour rêvé par feu Raspail en 1848, le beau jour de vengeance où l’on verrait le dernier des rois égorgeurs s’exiler en Sibérie. Le roi, le soldat et beaucoup ajoutaient : le prêtre, — tels étaient les ennemis à poursuivre. Dans la vaste Europe déblayée par leur fuite, et nettoyée, comme l’écrivait à Macé Charles Lemonnier, des « préjugés soi-disant patriotiques, » de la « gloriole militaire, » de la « brutalité soldatesque, » de la « vanité nationale, » un régime nouveau s’établirait, sorte de fédération de républiques semblable à celle des cantons suisses ; et la ville de Genève, abri de ce congrès prophétique, deviendrait un Grutli européen.
Un doux philosophe, Jules Barni, présidait à ces nuageuses et turbulentes assises : ancien secrétaire de Cousin, il était devenu, depuis 1861, professeur à l’Académie de Genève ; la traduction du Projet de paix perpétuelle, d’Emmanuel Kant, avait fait de Barni un apôtre d’humanitarisme ; et si Kant lui-même, remontant de sa tombe, ou descendant du ciel étoile, fût venu lire au Congrès ses Conjectures sur les commencemens de l’histoire du genre humain, petit écrit bien significatif dans lequel il ajourne à un autre stade de l’histoire l’avènement de la paix perpétuelle, Barni, sans doute, l’eût fait mettre à la porte.
Sous les regards impuissans de Barni, les scènes les plus étranges se déroulèrent à certaines minutes ; il y eut comme une émulation entre l’extravagance du délire et la complaisance des applaudissemens. Garibaldi, tout le premier, fut effarant : par