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figurer, parmi les insignes des diverses nations, le drapeau français surmonté d’un aigle, et demanda « par quel singulier éclectisme on avait pu concilier cette étrange réunion. » Quelques minutes durant, l’aigle fut un oiseau de discorde ; un tumulte épouvantable s’éleva, jusqu’à ce que M. Clamageran, le futur sénateur de la République, eût obtenu la parole. On aurait pu penser que la vieille furia francese commettrait, sous le coup de l’affront, quelque vive et patriotique riposte ; M. Clamageran se contenta d’expliquer pourquoi il « acceptait » le drapeau ; il plaida les circonstances atténuantes, et le Congrès pardonna. Mais Paul de Jouvencel et Pierre Larousse, plus susceptibles, estimèrent que leur honneur de Français leur commandait d’envoyer leur démission de congressistes : celui-ci s’en revint travailler à son Grand Dictionnaire du XIXe siècle, non sans observer, dans une lettre qui fut rendue publique, que le bureau présidé par Barni, — un Français pourtant, — avait eu, dans ce triste épisode, une attitude bien passive ; et quant à Jouvencel, il regagna son département de Seine-et-Marne, où il devait, un an plus tard, aux élections législatives, l’emporter sur Ernest Renan. S’ils fussent restés au Congrès, ils eussent peut-être rompu le silence, — ce que nul Français n’osa faire, — en présence de cette déclaration que risqua Gustave Chaudey : « Dans un conflit possible entre la France et l’Allemagne, ou plutôt entre la Prusse et la France, le devoir des démocrates est de rester et de se tenir en dehors du conflit. Au point de vue de la justice et de l’humanité, de l’intérêt général bien compris, nous n’avons pas de vœux à exprimer dans cette lutte de deux ambitions et de deux rivalités gouvernementales. » Il avait suffi des déclarations anti-bismarckiennes de M. Gœgg, de Mannheim, et de M. Simon, de Trêves, pour amener sur les lèvres de Gustave Chaudey cette profession d’indifférence.

On se complaisait, à Genève, dans la conviction, formellement exprimée par Emile Acollas, d’une solidarité entre toutes les « démocraties » d’Europe, solidarité réciproquement pacifique, mais unanimement hostile à toutes les royautés et à toutes les tyrannies. Quanta définir ces a démocraties », quant à tracer le programme de leurs désirs ou de leurs exigences, le Congrès ne l’eût pu faire sans se diviser : il y avait là des bourgeois, si l’on peut dire, et des ouvriers ; les ouvriers, par la voix du citoyen Dupont, délégué de l’Association des travailleurs français à