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Londres, réclamaient la révolution sociale avec toutes ses conséquences ; et tandis qu’une partie de l’assemblée éclatait en applaudissemens, l’autre manifestait, suivant les euphémismes du compte rendu officiel, une « vive opposition. » Même en n’envisageant que l’aspect purement politique de l’avenir, on se partageait entre deux conceptions : la conception jacobine de la république centralisée, et la vieille conception girondine du fédéralisme décentralisateur, à laquelle la Commune de Paris devait, peu de temps après, donner un baptême révolutionnaire. César de Paepe et M. Longuet furent les avocats de cette seconde idée. On s’accorda pour décider, à la voix même de Barni, — qui devint trois ans plus tard, par une surprenante ironie, le journaliste officiel de Gambetta à la Délégation de Tours, — qu’il fallait, partout, « miner le militarisme ; » on s’accorda pour fonder une Ligue de la paix et de la liberté et pour donner à cette Ligue, comme journal, un organe franco-allemand, qui s’appela les États-Unis d’Europe.

Le Congrès de Genève avait voulu faire une œuvre et propager une idée. L’œuvre était mort-née : théoriquement, il était absurde de ne tenir nul compte de l’histoire, de transformer l’Europe en une table rase, et de bâtir, sur cette table irréelle, une fédération ; pratiquement, il eût fallu tout de suite une révolution dans les divers pays ; l’émeute était la préface indispensable de la « paix » rêvée. L’idée, au contraire, idée provisoirement platonique qui pouvait devenir dangereuse, allait, en France surtout, se frayer un chemin : elle flattait la puissance de haine que recelaient, au fond de leur cœur, les victimes de Décembre ; et tout en même temps elle caressait la générosité naturelle qui est le trait du tempérament français. Entonner un hymne à la Paix c’était, pour les uns, haïr l’Empire, et, pour les autres, aimer l’humanité ; mais pour les uns et pour les autres, qu’ils se l’avouassent ou non, les décisions du Congrès de Genève, dans l’esprit où elles avaient été prises, offusquaient l’idée même de patrie. On prétendait subordonner à la volonté commune des « démocraties » européennes, l’obéissance du citoyen aux volontés éventuellement belliqueuses de chaque pouvoir constitué, c’est-à-dire de chaque pouvoir national, et l’on avait affirmé la possibilité, même le devoir, de se soustraire, en vertu d’un droit démocratique supérieur, à l’observation civique de ces volontés légales.