— Allons ! vous me rendez un peu justice, maintenant.
— J’ai toujours rendu justice à votre charité : je l’aurais désirée plus féminine, voilà tout.
— Oui, vous auriez voulu qu’au lieu d’être médecin, je fusse une sœur de charité.
— Peut-être… Vous avez fait le bien, mais vous avez donné le mauvais exemple.
Sa voix tremblait de rancune mal guérie.
Elle ne se défendit pas, se bornant à le regarder de ses bons yeux clairs où montait une larme.
— L’exemple, je n’aurais pu m’empêcher de le donner. Chacun est tenu de vivre sa vie, d’agir selon sa conscience. Mais je suis toute prête à reconnaître que je regrette d’avoir donné de certains conseils, non parce qu’ils étaient mauvais, mais parce qu’ils ont mal tourné.
— Ils ont mal tourné pour moi tout au moins ; c’est moi qui en ai souffert.
— D’autres encore, peut-être. Mais vous êtes venu spontanément, n’est-ce pas, m’apporter votre pardon, car ce n’est pas un malade que vous m’amenez ! reprit-elle avec un sourire qui sécha les yeux expressifs toujours fixés sur lui. Dieu merci, vous êtes superbe autant que jamais,… quoique l’on brunisse au Soudan…
— De visage seulement, dit l’officier en indiquant de la main ses tempes déjà grisonnantes.
— Un œil de poudre ! Cela vous va parfaitement. Je voudrais qu’une personne qui nous est chère à tous deux fût aussi bien portante… Oh ! rien que de la langueur, de l’épuisement et du chagrin… Mais c’est assez… c’est trop.
— Du chagrin ? interrogea Robert.
— On en aurait à moins. Ce malheureux mariage…
Très pâle, il balbutia :
— Que dites-vous ? Elle s’est mariée selon ses goûts, selon son cœur, elle a épousé librement un homme qui l’aimait.
— Ah ! dit Lise en levant les bras au ciel ; comme on voit que vous arrivez de chez les sauvages ! La vie est bien plus compliquée que cela. Moi qui touche à toutes les misères physiques et morales, j’ai mesuré de combien de contradictions et de quiproquos elle est faite.
— Mais enfin, dit brusquement Robert, on sait ce qu’on veut !
— Vous êtes privilégié, ma foi, si vous le savez toujours.