Un mort ne doit jamais sortir de chez lui ni par la porte ni par la fenêtre. L’esprit du mort ne peut passer par où d’autres ont passé, et on doit démolir un coin de la maison pour lui livrer passage. Sur le parcours du cortège, des palissades de bambou sont placées devant les maisons, et toutes les échelles sont relevées pour préserver les habitans des esprits qui accompagnent le mort. Les funérailles sont toujours l’occasion d’un boun. On fait fête pour consoler les parens du défunt.
A Saniaboury, nous échangeons le train de bois pour d’étroites pirogues ; à Outhen, la canonnière le Massie, commandée par le jeune enseigne Le Blévec, informé de l’échouage du Trentinian, nous a rejoints ; et, quand la canonnière ne pourra plus nous porter à cause de la baisse des eaux, nous continuerons le voyage dans de bonnes pirogues. Le Massie nous a ramené le commissaire de Vien-Tian, qui a couru après nous trois jours sous son parasol, en petite pirogue découverte. Il était conduit par ses trois boys et par un milicien, et encombré d’un demi-bœuf promis à notre ravitaillement. Mais il faut convenir que le bœuf se gâtait vite sous le chaud soleil, car il a fallu le jeter au fleuve, non sans lui avoir soustrait en route quelques biftecks. Et tout cela se fait comme chose naturelle : c’est la vie ordinaire,
A quelques heures de Takket, on voit de curieuses grottes de salpêtre, qui prennent l’air, d’étage en étage, par une ouverture aboutissant au sommet de la montagne. Dans ces grottes vivait un vieux bonze qui avait quitté son monastère pour se réfugier dans cet ermitage. Il restait sans cesse en prières ; quand la nourriture lui manquait, tous les trois ou quatre jours, il frappait une cloche de bambou, et on lui apportait à manger. Il était tenu en grande vénération ; et un jour, comme on ne l’avait pas entendu sonner depuis longtemps, on monta à sa solitude, et on l’y trouva mort. Ses funérailles viennent d’être célébrées en grande pompe, et le boun a duré plusieurs jours.
C’est à Muong-Pahom qu’il faut opérer un nouveau transbordement dans les pirogues, en face d’un petit tât très intéressant, à l’extrémité d’une haute chaussée, élevée au-dessus des rizières et recouverte de dalles. Ce tât est enfermé dans trois enceintes. Des colonnes dorées, en relief, et des animaux montés, éléphans et hippogriffes, agrémentent les quatre faces du monument, ornées chacune de frontons bizarres formant quatre portes.
Il ne nous reste plus que deux keng (rapides) à descendre