Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 160.djvu/763

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Paris s’était chargé de l’en remercier d’avance par une ovation. Personne ne connaissait les idées d’Anne d’Autriche ; mais il y avait cependant une chose dont on se croyait sûr, et qui suffisait pour la rendre populaire : la veuve de Louis XIII n’aurait jamais de premier ministre ; elle avait trop souffert de la tyrannie de Richelieu.

Le flot des Parisiens rencontra le cortège royal à Nanterre et embarrassa considérablement sa marche. « Depuis Nanterre jusqu’aux portes de cette grande ville, dit Mme de Motteville, toute la campagne était remplie de carrosses, et ce n’était partout qu’applaudissemens et bénédictions. » A l’entrée du Roule, il fallut écouter un premier discours officiel, du prévôt des marchands, auquel la régente répondit brièvement « qu’elle ferait instruire son fils de la bienveillance qu’il devait avoir pour ses sujets[1]. » La foule devenait compacte et les acclamations assourdissantes. On avançait si lentement qu’il était six heures du soir quand Anne d’Autriche monta l’escalier du Louvre en faisant dire qu’elle n’en pouvait plus, et qu’elle remettait les réceptions au lendemain. Le samedi 16 fut en effet consacré aux harangues et révérences. Le lundi suivant, la reine mena son fils au Parlement, où elle fut déclarée régente « avec pleine, entière et absolue autorité, » contrairement aux volontés exprimées par Louis XIII dans son testament. Le soir de cette séance mémorable, une foule rayonnante s’étouffait dans les appartemens du Louvre. Les grands se voyaient déjà les maîtres de la France. Tout à coup, une nouvelle extraordinaire se murmure dans un coin, court, éclate, fait le tour des salons : à peine rentrée du Parlement, la reine s’est servie de son nouveau pouvoir pour nommer le cardinal Mazarin chef de son conseil. On se regarde, les uns atterrés, les autres ayant peine à réprimer un sourire. Les grands avaient aidé Anne d’Autriche à saisir l’autorité parce qu’ils la croyaient incapable d’en user, et elle avait l’air de se révéler femme d’initiative et d’énergie. En réalité, elle avait agi en femme déjà dirigée ; mais il fallut quelque temps pour s’en apercevoir.

La reine-mère avait quarante et un ans, de beaux yeux, de beaux cheveux, de belles mains, une tournure majestueuse et de l’esprit naturel. Son éducation avait été aussi sommaire que celle de la Grande Mademoiselle. Anne d’Autriche savait lire et écrire,

  1. Registres de l’Hôtel de Ville. — Collection Danjou.