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et c’était tout ; elle n’avait jamais ouvert un livre, et parut à son conseil, au début de la régence, un vrai miracle d’ignorance. Elle connaissait toutefois assez bien le personnel politique de la France, son goût pour l’intrigue l’ayant instruite de bien des choses sur bien des gens. Elle avait aussi beaucoup appris sur le monde à la comédie et dans les belles conversations, ses deux passe-temps favoris. Très facile dans le commerce ordinaire, par indifférence plutôt que par bonté, elle surprit le monde officiel, à son arrivée au pouvoir, par sa promptitude à élever la voix dès qu’on la contrariait ou qu’on lui résistait ; elle prenait alors un « fausset aigre » et perçant d’un effet désagréable. D’autres surprises attendaient ses contemporains, dont l’opinion ne lui a jamais été équitable ; ils là virent trop en beau, comme Mme de Motteville, ou trop en laid, comme Retz. Anne d’Autriche n’était ni une « sotte » ni une « grande reine. » C’était une Espagnole, restée Espagnole dans ses idées et ses sentimens. Elle avait l’imagination de sa race ; ayant une revanche à demander à la vie, il était à prévoir que cette revanche serait romanesque. Sa piété comportait trop de petites pratiques pour les Parisiens. « Elle communie souvent, écrivait une amie ; elle révère les reliques des saints ; elle est dévote à la Vierge et pratique souvent dans ses besoins les vœux, les présens et les neuvaines par lesquels les fidèles espèrent obtenir des grâces du ciel[1]. » Le seul gouvernement qu’elle comprit était celui de sa patrie : la monarchie absolue ; quand la reine prenait son fausset pour crier : « Taisez-vous !… taisez-vous ! » aux députés du Parlement, qui en étaient extrêmement choqués, elle croyait remplir son devoir de dépositaire de l’autorité de son fils.

Le nouveau premier ministre était Sicilien d’origine, et du même âge que la régente. Il avait été nonce du Pape à Paris pendant deux ans (1634-1636). Le 4 janvier 1640, on l’avait vu arriver à la cour de France et s’y installer, sans qu’on sût à quel titre. Richelieu se servait de lui, et l’on apprit dans la suite qu’il lui avait écrit de son lit de mort : « Je vous remets mon ouvrage entre les mains, sous l’aveu de notre bon maître, pour le conduire à sa perfection. » Louis XIII l’ayant aussitôt « appelé dans ses conseils, « toujours sans fonctions nettement définies, Mazarin s’occupa dans l’ombre et le silence à se créer des relations et des

  1. Motteville.