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appuis. Il ne se montrait nulle part. A la mort de Louis XIII, on ne le vit ni à l’entrée de son successeur à Paris, ni à la séance du Parlement pour l’établissement de la régence. On le crut reparti pour l’Italie. Les Parisiens ne le connaissaient pas de vue ; Olivier d’Ormesson, très répandu dans le monde et assistant par métier au conseil du roi, parle de Mazarin, alors que celui-ci était premier ministre depuis six mois, comme s’il le voyait pour la première fois. On lit dans son Journal : — « Le samedi matin 4 novembre (1643), au conseil, où vint M. le Cardinal Mazarin, après avoir été attendu par M. le Chancelier une demi-heure ; il prit la place de chef du conseil et signa les arrêts le premier, et écrivait : le cardinal Massarini. Il se trouva d’abord étonné, ne sachant l’ordre du conseil et ne sachant les noms ; il ôtait à chacun son chapeau et paraissait ne rien entendre aux affaires de finances. Il est grand, de bonne mine, bel homme, le poil châtain, un œil vif et d’esprit avec une grande douceur dans le visage. M. le Chancelier l’instruisait, et chacun s’adressait à lui… »

Mazarin avait mieux à faire, dans son intérêt, que de parader pour le public. Il voulait se rendre inamovible, et nous savons par quel moyen ; lui-même en a instruit la postérité par ses carnets de poche[1], où l’on suit jour par jour les phases de ses relations avec la régente. Il est parfaitement clair, par ses réflexions, que c’est au cœur de la reine qu’il en voulait. — Carnet d’août 1643. « Si je croyais ce qu’on raconte, que Sa Majesté se sert de moi par nécessité, sans aucune inclination, je ne resterais pas trois jours ici. » A propos de ses ennemis : — « Enfin ils s’entendent de mille façons et font mille intrigues pour diminuer ma chance auprès de Sa Majesté. « Un peu plus loin : — « On épluche ma vie, et on en conclut que je suis impotente. » Les amies de la reine ont averti cette princesse que son ministre la compromettait : — « La supérieure des Carmélites a parlé contre moi. Sa Majesté a pleuré, et a dit que, si on lui en reparlait, elle ne reviendrait plus. » Les idées à donner à la reine, les recommandations à lui faire, sont inscrites de peur d’oubli : — « On me dit que Sa Majesté s’excuse tous les jours, par la nécessité, des démonstrations qu’elle me fait. C’est un point si délicat, que Sa Majesté doit avoir compassion si j’en parle souvent. » « Je n’ai pas le droit

  1. Conservés à la Bibliothèque nationale. Ils sont écrits en trois langues : italien, espagnol et français. Mazarin se servait de l’espagnol quand il pensait à la reine.