Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 160.djvu/770

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


II

Les deuils de Mademoiselle l’avaient détournée de la grande affaire de son mariage. Elle se reprit bientôt à y songer. Il n’y avait pas d’apparence que Madame s’en occupât ; c’était trop fatigant pour elle. Monsieur, d’autre part, trouvait trop d’agrément à jouir de la fortune de sa fille pour travailler à la marier. Mademoiselle n’espérait qu’en la reine, et elle ne tarda pas à avoir la preuve que la régente, ou plutôt son ministre, veillaient en effet sur elle et sur ses belles principautés. En 1644, le roi d’Espagne Philippe IV, frère d’Anne d’Autriche, perdit sa femme. C’était notre ennemi, et c’eût été folie que de lui donner des droits quelconques sur des provinces françaises. Mademoiselle vit seulement qu’il avait une couronne, et que cette couronne lui convenait ; elle avait l’esprit très court en politique. Elle s’imagina, d’après des indices demeurés obscurs, que Philippe IV pensait à l’épouser, et vécut dans l’attente de l’envoyé espagnol chargé de la demander à son père. Il semble difficile qu’elle ait rêvé tout ce qu’elle raconte à ce propos, et qu’il n’y ait pas eu tout au moins une intrigue de subalternes : — « La reine, dit-elle, me témoigna qu’elle souhaitait passionnément (ce mariage). Le cardinal Mazarin m’en parla dans ce sens-là, et me dit de plus qu’il avait des nouvelles d’Espagne par où il apprenait que cette affaire y était désirée. La reine et lui en parlèrent quelque temps à Monsieur et à moi ; et, par un feint empressement de bonne volonté, ils nous leurrèrent tous deux de cet honneur, quoiqu’ils n’eussent aucune intention de nous obliger. Néanmoins la bonne foi était telle, de notre part, que nous ne nous apercevions pas qu’il n’y en avait point de la leur, de sorte qu’il leur fut aisé d’éluder l’affaire, comme ils firent en effet, et l’on cessa tout d’un coup d’en parler. » Sur ces entrefaites, un Espagnol fut mis à la Bastille. Mademoiselle est toujours restée persuadée qu’il était venu pour elle, que Mazarin le savait, et que l’arrestation de « ce pauvre misérable » n’eut pas d’autre cause. La seule chose certaine, c’est qu’il ne fut plus question de rien, et que Philippe IV se remaria avec une Autrichienne.

La « brouillerie des affaires d’Angleterre » valut à Mademoiselle un prétendant plus sérieux. La reine Henriette, fille de notre Henri IV et femme de Charles Ier était venue demander un asile