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à la France. Le Louvre se trouvait vide ; Anne d’Autriche l’avait abandonné (7 octobre 1643) pour le Palais-Royal, plus commode, plus dans le goût nouveau. On logea la reine d’Angleterre au Louvre, où cette pauvre femme fut immédiatement possédée de l’idée de marier son fils aîné, dont l’avenir n’était qu’incertitudes et menaces, avec la riche cousine des Tuileries. Ses avances furent accueillies froidement par Mademoiselle. La femme de Charles Ier ouvrait la série des rois en exil dont Paris a été successivement l’auberge, et elle l’ouvrait mal, à cause de l’imprévoyance des souverains de jadis. Ils n’étaient pas familiers, comme ceux de notre temps, avec la pensée des révolutions, et ne songeaient pas à prendre leurs précautions. Jamais ils ne mettaient un seul écu de côté, jamais ils ne s’assuraient contre la mauvaise fortune en faisant de bons placemens à l’étranger, chez des banquiers discrets. La perte de leur trône les jetait sans sol ni maille à la charge des autres monarques, dont la bourse pouvait être plate ou la bonne volonté courte.

La reine d’Angleterre fut tout d’abord comblée en France d’honneurs et de belles paroles. Les courtisans mirent leurs habits de gala, « avec broderies d’or et d’argent[1], » pour l’aller recevoir à Montrouge. La régente lui « donna toujours la droite. » Mazarin lui annonça une pension de « douze cents francs par jour. » Il était impossible de faire les choses plus généreusement ou avec plus de galanterie. La souveraine déchue prit cette fantasmagorie au sérieux, et demeura tout étourdie en s’éveillant un beau matin dans la misère : — « Elle parut durant quelques mois, rapporte la Grande Mademoiselle, en équipage de reine ; elle avait avec elle beaucoup de dames de qualité, des filles d’honneur, des carrosses, des gardes, des valets de pied. Cela diminua petit à petit, et peu de temps après rien ne fut plus éloigné de sa dignité que son train et que son ordinaire. » Il fallut brocanter l’argenterie et les bijoux. Les dettes suivirent de près. La petite cour du Louvre devait au boulanger et ne payait pas les gages des domestiques. Mme de Motteville, venant avec une amie rendre visite à la reine d’Angleterre, la trouva presque seule : — « Elle nous montra une petite coupe d’or dans quoi elle buvait, et nous jura qu’elle n’avait d’or, de quelque manière que ce pût être, que celui-là. Elle nous dit de plus que… tous

  1. Journal d’Olivier d’Ormesson.