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désir de me faire religieuse aux Carmélites, dont je ne fis confidence à personne. J’étais si occupée de ce désir que je ne mangeais ni ne dormais, et j’en eus une inquiétude si grande que, jointe à celle que j’ai naturellement, l’on appréhenda fort que je ne tombasse dangereusement malade. Toutes les fois que la Reine allait dans les couvens, ce qui arrivait souvent, je demeurais seule dans l’église ; et, occupée de toutes les personnes qui m’aimaient et qui regretteraient ma retraite, je me mettais à pleurer ; ce qui paraissait en cela un effet du détachement de moi-même en était un de la tendresse que j’ai. Seulement je puis dire que pendant ces huit-jours —là l’Empire ne m’était rien. Je n’étais pas sans avoir quelque vanité de quitter le monde dans une pareille conjoncture… »

Mademoiselle mit enseigne de dévotion, si j’ose ainsi parler. Elle multiplia les signes extérieurs de sa conversion : — « Je n’allais point au Cours, je ne mettais point de mouches ni de poudre sur mes cheveux ; la négligence que j’avais pour ma coiffure les rendait si malpropres et si longs que j’en étais toute déguisée ; j’avais trois mouchoirs de cou, qui m’étouffaient en été, et pas un ruban de couleur, comme si j’eusse voulu avoir l’air d’une personne de quarante ans ; … je n’avais de satisfaction qu’à lire la vie de sainte Thérèse… » Personne ne s’étonnait alors des démonstrations de ce genre ; l’usage ne s’opposait pas à ce qu’on fît part au public des crises intimes que les âmes d’à présent lui dérobent le plus soigneusement. On s’étonna seulement que la pensée du cloître fût venue à Mademoiselle, et l’on en fit des railleries qui la piquèrent au vif : — « Je raillai aussi, et me défendis d’y avoir seulement pensé. » Le plus étonné de tous fut Monsieur, quand il entendit sa fille lui déclarer qu’elle « aimait mieux servir Dieu que d’avoir toutes les couronnes du monde. » Il se mit en colère. Mademoiselle supplia qu’il n’en fût plus question, et ainsi finit la comédie.

L’incrédulité avait été unanime dans le public ; il n’était vraiment pas possible de se représenter la Grande Mademoiselle en carmélite. Venant de toute autre, son projet n’aurait excité qu’un mouvement de curiosité. La cour de France était habituée à voir les siens entrer dans les cloîtres, en dehors même des nombreuses jeunes filles vouées à la vie religieuse par leurs familles. Dans le désert spirituel où agonisait la France catholique à la fin du XVIe siècle et au commencement du XVIIe, le voile et le froc