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la famille royale avaient pris l’habitude de se sentir très près du trône, d’où une importance et des attitudes qui ont été souvent funestes au repos du pays. Gaston d’Orléans avait touché la couronne du bout du doigt avant la naissance de Louis XIV, et il ne s’était servi de son titre d’héritier présomptif qu’à des fins malfaisantes. Depuis qu’il avait des neveux, il vivait dans l’attente de ce que ferait pour lui l’étoile des branches cadettes, et reprenait espoir à la moindre alerte. Louis XIV eut la petite vérole à neuf ans et fut en danger de mort. Son oncle manifesta publiquement sa joie : — « On but à la santé de Gaston Ier L’on avait déjà partagé les charges[1]. » On avait aussi disposé du frère du roi : — « La reine fut avertie que l’on faisait dessein d’enlever le petit Monsieur, la nuit d’un samedi au dimanche que le roi était très mal, et, pour l’empêcher, le maréchal de Schomberg fut toute la nuit à cheval avec la compagnie des gens d’armes ; et de tout ce Monsieur fît des excuses. »

La cour avait encore à se défendre, sous la régence d’Anne d’Autriche, contre une seconde branche cadette, qui suppléait à l’infériorité du rang par l’intelligence et l’audace. Les prétentions des Condés avaient été l’un des premiers soucis de Mazarin ministre. Elles étaient vastes, et soutenues avec habileté par M. le Prince, homme supérieur, quoiqu’il ne payât pas de mine. Les gens de son âge l’avaient connu beau. La débauche, l’avarice et l’abandon de soi en avaient fait un petit vieux « sale et vilain[2], » tout voûté, tout ridé, avec de gros yeux rouges, de longs cheveux gras passés derrière l’oreille, une barbe inculte et des vêtemens sordides. Richelieu avait été obligé de lui faire dire de se nettoyer et de changer de souliers quand il venait chez le roi[3]. Son âme était crasseuse comme sa personne. M. le Prince avait l’humeur hargneuse et grossière et il appartenait à la famille des rapaces ; ayant débuté avec dix mille livres de rentes, il en eut un million[4] avant de mourir, sans les charges et les gouvernemens. On tenait sa poche en l’approchant, et cela ne servait à rien ; tout entrait dans sa bourse et rien n’en ressortait. Mais, quand son cher argent n’était pas en cause, M. le Prince devenait un autre homme. Alors il « aimait la justice et suivait la

  1. Journal d’Olivier d’Ormesson.
  2. Motteville.
  3. Duc d’Aumale, Histoire des princes de Condé.
  4. 800 000 selon d’autres.