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LA RÉFORME DE LA SYNTAXE.

on laissait l’opinion prononcer. C’est ce qui n’est plus désormais possible. Sournoisement, sans en avoir presque averti personne, et avec ce sentiment de son infaillibilité qui la caractérise, l’ « Administration » s’est emparée de la question, et, aussitôt que posée, l’a résolue dans le sens de ses commodités personnelles. Il va falloir examiner maintenant les solutions qu’elle en a données. Et quel principe appliquera-t-on soi-même à cet examen ? On vient de voir qu’il y en avait au moins deux, et qu’étant contradictoires l’un de l’autre, c’est à peu près, ou, pour mieux dire, c’est exactement comme s’il n’y en avait pas.

III

Par exemple, en ce qui concerne l’orthographe, — car c’est une question d’orthographe autant que de syntaxe, — le Conseil supérieur de l’Instruction publique a décidé que, dans les noms composés, « même quand les élémens constitutifs des noms composés seront séparés dans l’écriture, on n’exigerait jamais le trait d’union. » Je ne discute point sa décision, parce qu’aussi bien je ne m’en émeus guère, et il me paraît même tout à fait indifférent que l’on écrive : un fier-à-bras, ou un fier à bras, ou un fierabras. Il est cependant déjà plus grave de permettre d’écrire à volonté un vice-roi, ou un vice roi, ou un viceroi, en attendant sans doute que l’on écrive bientôt : un vice-amiral, ou un vice amiral, ou un viçamiral, ou un visamiral. Je ne haïrais pas non plus soulieutenant ; et nous y viendrons tôt ou tard ! Ce sera le moment, alors, après les mots composés, de s’en prendre aux mots simples, et, comme aussi bien on l’a demandé plusieurs fois, un ministre, qui sera peut-être encore M. Georges Leygues, décrétera la suppression, dans le corps ou à la fin des mots, de toutes les lettres qui ne se prononcent point. On écrira :

Le sor qui de l’honeur nous ouvre la carière

ou :

Le toi s’égai et ri de mil odeur divine.

Et pourquoi enfin, si deux mots se prononcent de la même manière, ne les écrira-t-on pas aussi de la même façon ? Le latin sanctus nous a donné saint, et sanus nous a donné sain. Nous avons encore tiré seing de signum, sein de sinus, et ceint de cinc-