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fumées de la gare et des usines l’âme exhalée du sol historique et des vieilles pierres.

Le soir même de mon arrivée, je fus prié à une soirée qu’offrait une colonie cosmopolite de dames dans une résidence d’étudians, provisoirement transformée, pour cette saison de vacances, en une pension de famille. On eût dit une honnête réunion de casino. Des jeunes femmes jouèrent du violon. Un docteur allemand, barbe jaune et lunettes rondes, tira de sa poche un minuscule calepin où il avait condensé le trésor mélodique de son pays, qu’il détailla d’un ton pénétré. J’eus tout loisir de regarder le salon : il encadrait, dans un décor du XVe siècle, notre lamentable banalité. « Un de nos rois a couché ici, « me dit une jeune fille. Pour aller au buffet, je traversai une petite cour. Les fenêtres irrégulières percées dans ses murs gris et roses l’éclairaient d’une lumière falote de réverbère ; un banc semblait attendre des hôtes familiers, et je m’assis dans ce soin désert et ce décor suranné où la vieille Écosse semblait endormie...

Une musique stridente, comme pour la réveiller bruyamment, éclata au premier étage : un joueur de bag-pipe venait d’entrer, et, raide, la tête à droite, grave comme un prêtre et ferme comme un soldat, sa cornemuse sous le bras gauche, tournait d’un pas héroïque dans l’envolée des rubans verts, au rythme aigu de son assourdissante mélopée. Soudain, il s’arrêta pour jouer le réel. Quatre jeunes femmes essayèrent de ressusciter devant nous la danse nationale, ce quadrille trépidant et sauvage qu’il faudrait voir courir par les gars en jupe courte, le genou nu et le poignard à la ceinture.

Quand je rentrai le long des rues silencieuses de la ville haute, mes oreilles résonnaient encore des chants aigres du bag-pipe ; son rythme obstiné avait chassé les musiques banales, et il me sembla que la beauté des plafonds et des murailles, le pittoresque original de la petite cour, avaient vaincu, de leur réalité plus durable et plus forte, les mobiles apparences que nous y avions un moment agitées.

Le lendemain matin, le soleil entra me réveiller. Je courus ouvrir ma fenêtre à guillotine, étroite et haute, qui enchâssait dans l’épaisseur du mur son faîte triangulaire. Devant moi, au bout d’une rue déserte encore sous la buée matinale, le rocher du château, hérissé de sa forteresse, semblait avoir gardé notre sommeil. De loin, la masse seule m’apparaissait, citadelle abrupte