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REVUE DES DEUX MONDES.

Mme  Poncet, née Vedel, femme à grands os, à forte carrure d’Auvergnate, la bonté même, observa :

— Bismarck est plus malin que lui.

M. Bompin, le curé, vantait les volontaires de Cathelineau s’équipant au château d’Amboise. Cependant Eugène, aux hochemens de tête sceptiques du comte de la Mûre, peu convaincu de la nécessité de la défense : — « Que ne réunissait-on plutôt l’Assemblée ? » — racontait :

— Oui, on nous a distribué des Remington. L’armée de la Loire est solidement réorganisée, Vous avez beau m’objecter toujours Artenay, Artenay ! Eh bien ! oui, La Motte-Rouge a été battu, Orléans évacué. Après ? Depuis que le général d’Aurelles a pris le commandement, le 15e corps ne se ressemble plus. La discipline a refait des hommes, au camp de Salbris. On sait maintenant qu’il y a des lois martiales. Le 16e corps, sous le général Pourcet, s’est constitué de toutes pièces.

— La discipline, s’écria le cousin Frédéric avec son indépendance de partisan, belle chose ! Quel dommage que nous ne l’ayons pas tous dans le sang ! Cela dispenserait de faire fusiller pour un oui, pour un non, une broutille, un poulet volé.

L’inflexibilité de d’Aurelles devenait légendaire.

— Vous avez raison, dit de sa voix tranchante le vieux commandant Du Breuil ; chacun devrait trouver dans son patriotisme l’obéissance au chef et le respect de soi-même. Un homme qui répond non, ce n’est rien ; laissez-le dire à cinq cents, c’est la révolte. Un poulet volé, ce n’est rien ; mille, c’est la maraude. Sans discipline, pas d’armée !

M. Pacaut approuva, de toute son âme paysanne : c’était bien assez qu’un Allemand pût lui enlever sa basse-cour ou son cochon. Mais des Français, ah non !… Une exclamation de Mlle  de la Mûre attira l’attention ; la jeune fille, de blême, en devint rouge. Louis, qui à sa prière donnait des détails sur le bombardement de Strasbourg, timide sous ce cercle de regards, baissa la voix, et avec une colère qui animait son visage calme :

— Nous avons reçu près de 200 000 obus. Vers le milieu du siège on était si habitué qu’on allait et venait dans les rues. Les faubourgs de Pierres et de Saint-Nicolas étaient en cendres, les musées, le Temple neuf et la Bibliothèque détruits ; car les Badois tiraient sur la ville plus que contre les remparts. Ils n’ont eu