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n’est pas du tout Molière que nous en devons moins estimer, mais c’est l’idée que nous nous faisions du style qu’il nous faut corriger. L’histoire des littératures comparées nous y aidera. Nous y apprendrons en effet que les pires défauts du style, tels qu’on les définit dans les rhétoriques, et tels qu’on nous conseille de les éviter, non seulement ne sont point incompatibles avec le génie de l’écrivain, mais en font quelquefois une partie. Cela dépend des sujets que l’on traite. Cela dépend encore, et peut-être surtout, de la possession que l’on a des ressources d’une langue donnée, et cette possession, sachons-le bien, ne se manifeste pas moins dans les incorrections d’un Saint-Simon ou dans l’euphémisme d’un Shakspeare, que dans la précision d’un Lessing ou dans la concision lapidaire d’un Dante. Mais ce qui est vrai, c’est qu’en de certaines langues, on peut n’être qu’un médiocre écrivain et cependant avoir parfaitement écrit. Il suffit pour cela d’avoir vêtu de correction grammaticale et d’une suffisante clarté des sentimens dont la clarté n’est faite que de leur manque de profondeur, ou des idées que l’on n’a point pensées soi-même, et pour son compte, mais empruntées telles quelles à la tradition. Si c’est encore ce que l’histoire des littératures comparée ne saurait manquer de mettre en lumière, elle ne nous rendra pas un médiocre service, et bien loin d’atténuer en nous le sentiment de la forme et du style, je vois des raisons pour qu’elle contribue au contraire à le développer.

Et j’en vois également pour qu’elle aiguise en chacun de nous, Français ou Anglais, Espagnols ou Allemands, le sens de ce qu’il y a de plus national en nos grands écrivains. On ne se pose qu’en s’opposant ; on ne se définit qu’en se comparant ; et ce n’est pas se connaître soi-même que de ne connaître que soi. Je reprends l’exemple du roman. Rechercher ce que Le Sage, en empruntant son Gil Blas à la veine espagnole du roman picaresque, a cru devoir y modifier pour l’accommoder à l’esprit français du XVIIe siècle finissant, ou inversement, examiner si la Marianne de Marivaux est une première ébauche de la Paméla de Richardson, et préciser à quelles conditions la donnée française s’est comme anglicisée, ne sera-ce pas enrichir la psychologie du génie français de tout ce qu’on trouvera qui le différencie du génie anglais ou du génie espagnol ? et pour un Espagnol ou pour un Anglais comme pour un Français, quel moyen y a-t-il de se mieux assurer des traditions de la race ? Oserai-je ajouter qu’il n’est pas