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Mon cher Péhant,

J’ai vu avec peine dans la Gazette de France d’aujourd’hui des vers que je vous avais donnés à Vienne et que la Gazette a trouvés, à ce qu’il paraît, dans un journal à qui vous les avez communiqués. J’écris à la Gazette pour expliquer qu’ils ne sont pas de fraîche date, et je recule même jusqu’au collège l’époque de leur composition, car cette publication me contrarie beaucoup. Je ne veux rien livrer à la publicité entre Lucrèce et la pièce à laquelle je vais travailler, pas même ce que j’ai fait récemment et que je pourrais avouer : à plus forte raison je ne voudrais pas qu’on fouillât dans le passé pour en extraire des choses faibles et tâtonnées. La curiosité est ici extrêmement éveillée, et il est important de ne donner en pâture à la critique que ce que j’aurai travaillé avec cette perspective, de sorte que la malveillance ne puisse s’égarer que sur ce que j’aurai jugé moi-même en état d’affronter la publicité.

Je vous prie donc instamment, s’il en est temps encore, de conserver pour vous seul ce que je vous ai confié et de n’y voir qu’un souvenir de notre amitié. J’ai refusé les offres de Buloz, qui m’ouvrait la Revue des Deux Mondes. Voyez si je ne dois pas tenir encore bien davantage à ce qu’on ne s’arme pas contre moi de ce que j’ai pu faire il y a longtemps.

Adieu. Recevez encore cette fois l’assurance de ma sincère affection, et adressez-moi vos lettres à Vienne, si vous ne m’écrivez pas avant cinq jours. Je pars… J’ai un besoin immense de repos.

Tout à vous,

F. PONSARD[1].


En écrivant cette lettre, Ponsard semblait prévoir la critique aigre-douce dont ses premiers essais allaient être bientôt l’objet de la part de M. Charles Magnin, qui les avait déterrés dans la Revue de Vienne. Mais Péhant fut froissé du ton de cette épitre et n’y répondit que neuf ans après, comme en témoignent les lignes suivantes :


Paris. 24 décembre 1852.

Mon cher Péhant,

Je suis très heureux de votre bon souvenir ; l’expression cordiale de cette vieille amitié me rajeunit de quinze ans ; mais je comptais, même avant votre lettre, sur votre affection, et j’avais l’orgueil de ne pas me croire oublié, de même que vous pouviez être sûr que je ne vous oublie pas. L’oubli qu’amènent les années passe sur des relations de politesse et non sur l’intimité de deux camarades.

Je n’ai point, de griefs contre vous ; je me rappelle que j’ai été contrarié de la publication de quelques vers reproduits par la Gazette de France, je

  1. Lettre inédite.