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travail allemand. Les Negroli de Milan, en construisant la superbe salade argentée, ont fait une œuvre purement allemande, en tant qu’architecture, s’entend, mais les décors dont ils l’ont chargée ne se rapportent en rien à la tradition allemande. On pourrait peut-être aussi leur attribuer, sans trop de présomption, cette autre magnifique salade, du même type fondamental, mais que leur puissante imagination s’est complu à façonner en mufle de bête, tandis que le couvre-nuque s’enfuit en une tête d’oiseau. Celle-là aussi date de la fin du XVe siècle, et l’on sait qu’elle a appartenu à Philippe le Beau. Les jouées mobiles sont deux ailes où des traits incrustés d’or indiquent les divisions des pennes. Ces ailes, comme la visière, peuvent s’enlever à volonté, et le casque est ramené à la plus grande simplicité qui convient aux armes de guerre. Cette merveilleuse salade, comme l’a fait judicieusement remarquer le comte de Valencia, rappelle les fameux projets de casques composés par Léonard de Vinci. Mais les artistes allemands et italiens se copiaient alors les uns les autres avec une telle persévérance qu’il est, la plupart du temps, impossible de faire le départ entre les œuvres. Dans les armes, notamment, ce départ est absolument incertain. Dès que l’on commença à mettre au-dessus de la joaillerie pure, dont s’était contenté le moyen âge, par défaut de technique, le travail du métal lui-même, des recueils de poncifs commencèrent de se répandre dans les ateliers d’armuriers. Le plagiat, la contrefaçon, devinrent la règle. Avec notre époque, le XVIe siècle fut assurément le temps où la vulgarisation encyclopédique se montra le plus prospère. Par l’essor immense que prit la gravure avec Albert Dürer et Marc Antoine, pour ne nommer que les plus illustres, se vulgarisèrent les œuvres de tous, les suites de modèles furent d’un débit courant en Italie, en Allemagne. De là elles passèrent en France et aussi dans les Flandres. Une sorte d’art cosmopolite s’établit, dont les productions, essentiellement industrielles, et comme telles dépourvues de tout caractère, inondèrent le marché. Et cela dura tant que les belles armes, ou pour mieux dire les armures ornées, demeurèrent marchandise demandée, c’est-à-dire jusqu’aux premières années du règne de Louis XIII, et même plus tard.

Et c’est pourquoi il est à peu près impossible de juger, par le seul examen du décor, de la provenance d’un harnois. Ce qui paraît italien a pu être exécuté à Munich d’après un poncif venu de