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LES TRONÇONS DU GLAIVE.

succédait un froid mordant. Dans la nuit finissante, des mouvemens de troupes avaient annoncé la bataille. La garde nationale prit les armes. Derrière elle, l’artillerie des forts entamait la canonnade. Sur tout l’horizon en avant, le tonnerre se répercuta. Cette fois, on allait donner. Martial ne pouvait se défendre d’un trouble, son cœur battit à grands coups. Mais les quarts d’heure, les demi-heures, les heures passèrent. Le canon grondait toujours.

Ils avaient remis les armes en faisceaux, on attendait. Inemployé aussi, un régiment de mobiles, qui allait s’arrêter un peu plus loin, défila ; comme il passait devant le bataillon voisin, mal composé, des gardes les interpellèrent : « Hardi, les mobiles ! Chaud ! Chaud ! Vive la République ! « Ceux-ci répliquaient par des quolibets : « Hohé ! les Sang-impur ! Hohé ! la Trouée ! C’est votre tour ! » Ligne et mobiles détestaient la garde nationale, qui suspectait leur patriotisme. Un moblot se tourna, fit un geste obscène, accueilli par des huées. Le canon grondait toujours ; Martial, immobile, sentait croître son impatience douloureuse. Du bataillon voisin, un chant guerrier monta, l’inévitable Marseillaise. Piétinant sur place, comme des figurans d’opéra, des braillards hurlaient à pleine gorge :

Marchons, marchons !…
Qu’un sang impur abreuve nos sillons !…

Mais nul ordre ne venait. La masse gesticulante ne bronchait pas.

À ce moment, tandis que son cousin se morfondait, en réserve derrière d’autres réserves, le marin, Georges Réal de Nairve, accourait au galop du Bourget vers la Suifferie, pour rendre compte au Gouverneur. Le capitaine de frégate était passé depuis huit jours de l’état-major de Pothuau à celui du vice-amiral en chef la Roncière le Noury, qui avait désiré reprendre son ancien subordonné. Avancement qui, loin de flatter de Nairve, lui était plutôt à charge. Déjà, en quittant son fort, il avait éprouvé un désenchantement ; ces fonctions d’aide de camp, qui semblaient élargir son rôle, en réalité l’amoindrissaient. Que lui servait d’être mieux au fait des plans et des projets, s’il n’en voyait que davantage l’incertitude et la mollesse ? D’humeur grave, peu courtisan, il était plus à l’aise, surtout plus utile, dans le cercle