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souvenirs révolutionnaires : une proclamation du peuple de Paris apprit à l’armée de Versailles, le 24 mai 1871, que « l’heure du grand combat des peuples contre leurs oppresseurs était arrivée : » l’armée de Versailles passa outre, et mit un terme précoce au grand combat.

Avant de succomber, la Commune avait inscrit dans notre histoire une page dont le patriotisme français garde un âpre souvenir : ce fut la destruction de la colonne Vendôme. On a parfois considéré ce sacrilège comme un coup de folie ; et l’on a rendu la Commune responsable de l’état d’esprit qui provoquait de pareils égaremens et de l’état d’esprit qui les tolérait. « Monument de barbarie, symbole de la force brute et de la fausse gloire, affirmation du militarisme, négation du droit international, insulte permanente des vainqueurs aux vaincus. » C’est en ces termes que la colonne était flétrie, dans ce décret du 12 avril qui fut son arrêt de mort. Mais ces termes encore ne sont point d’une langue nouvelle ; ils sont, exactement, la langue que parlaient, à la fin de l’Empire, les Garnier-Pagès, les Crémieux, les Jules Simon, pour exprimer leurs incompréhensibles haines, leurs pudeurs imprévues, leurs irrémédiables soupçons.

Relisez, d’autre part, les longs et filandreux considérans du pacte conclu entre la Commune et l’ingénieur qui se chargeait du renversement de la colonne Vendôme : vous croiriez parcourir une leçon de philosophie humanitaire, tant bien que mal étayée sur le positivisme. Patrie, gloires nationales, qu’importe en vérité ? C’est de l’humanité qu’il s’agit, et c’est de son acheminement vers « un régime social où la théologie sera remplacée par la science et l’activité militaire par le travail et la paix. » A bas l’Empire, donc, qui, par le compromis concordataire et par les victoires napoléoniennes, parvint à « restaurer momentanément le régime théologique et militaire ! » Napoléon Ier voulut « provoquer une déviation brutale de l’histoire, et cette déviation menaça de dissoudre le noyau civilisateur spontanément formé en Occident. » Ainsi la colonne Vendôme, « insulte permanente à la République occidentale, » glorifiait « l’un des plus cruels ennemis du genre humain, » et c’est pourquoi la Commune la renversait. Mais, sans tant épiloguer, elle eût pu trouver à l’avance les considérans de ce décret destructeur dans la littérature républicaine de la fin de l’Empire. N’est-ce pas Edouard de Pompery qui, en novembre 1867, écrivait à Jean Macé :