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Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 161.djvu/859

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Un homme qui mérite comme vous le nom de Chrysostome, c’est Lanfrey. Son Histoire de Napoléon, dont le second volume vient de paraître, ouvrira un jour les yeux aux Français sur les dangers de la fausse gloire. Espérons que bientôt ils ne chanteront plus, les imbéciles :


Ah ! qu’on est fier d’être Français
Quand on regarde la colonne !


Et, dans le complément à l’Encyclopédie moderne, à l’article Guerre, Jules Bastide, sans ambages, lançait cet anathème :


Il y a sur la place Vendôme une colonne avec une statue, qui s’élève à plus de 40 mètres. Eh bien ! si les cadavres de tous ceux qui sont, morts pour qu’on put élever ce trophée glorieux étaient couchés côte à côte sur tout le sol de la place, comme ils le sont dans la fosse commune, ils formeraient une pyramide qui monterait bien plus haut que la colonne, et la statue aurait 120 mètres de cadavres par-dessus la tête.


Pyat et Courbet, en 1871, trouvèrent le bras séculier qui exécuta les anciens anathèmes de Bastide. La France en fut frémissante, et l’humanitarisme international en fut taré. Tout proche des campemens de l’ennemi, on humiliait la gloire de Napoléon Ier pour punir Napoléon III de s’être laissé battre : calcul étrange, mais dont l’étrangeté même dénote le caractère complexe de la Commune.

« Ce fut un mouvement international, » disent les uns : et l’on cite Jules Favre, qui faisait retomber sur l’Internationale la responsabilité de l’émeute ; mais Rossel, Martial Delpit, le général Appert, ont justement corrigé cette exagération. Et les autres de dire : « Ce fut comme une ruade lancée par le patriotisme parisien à l’égoïsme des ruraux ; » on se demande, alors, quel en fut le bénéfice et quelle en fut la portée. De fait, il y eut à Paris, deux mois durant, une sorte d’exubérance d’énergies inoccupées ; de véritables hallucinations, fruit de cette pléthore, qui poussèrent une populace à ramener l’histoire tout entière de la guerre à une série de trahisons ; un besoin confus de revanches et de châtimens ; des aspirations troubles où se mélangeaient, suivant les âmes et suivant les heures, le goût de l’héroïsme et le goût du crime, le courage que rien n’arrête et la sauvagerie que rien n’apaise ; un mariage mal assorti entre le patriotisme féroce et l’humanitarisme béat ; et je ne sais quel prurit morbide, enfin, de verser son propre sang par désespoir et d’y mêler le sang d’autrui par vengeance. Ce fut une grande déception pour