Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 161.djvu/862

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

heureux où la civilisation triomphera encore une fois de la barbarie, venez à nous, en frères généreux, nous vous accueillerons avec joie et répandrons sur vos blessures le baume consolateur de la fraternité ! » Foussier jouait au théocrate ; il distribuait anathèmes et bénédictions ; il prétendait incarner, en son pontificat maçonnique, l’équité internationale ; il alternait, avec son robuste maillet, les gestes menaçans et les gestes bénisseurs, tout comme faisaient avec leurs crosses ces prélats du ténébreux moyen âge, auquel Foussier ne pouvait songer sans frémir.

Il est des essors d’ambition qui sont incoercibles : la maçonnerie parisienne connut une de ces exaltations. Elle rêva d’un nouveau Canossa. Le numéro 35 de la rue Jean-Jacques-Rousseau devait abriter cette scène d’histoire : il y avait là un local maçonnique ; et « les frères Guillaume Ier, roi de Prusse, et Frédéric-Guillaume-Nicolas-Charles de Prusse, prince royal héréditaire, furent cités à comparaître en personne ou par représentant ayant qualité maçonnique, le samedi 29 octobre. »

On vit, ce soir-là, quinze à dix-huit cents maçons parisiens se presser dans l’enceinte ; les deux accusés étaient contumaces. Foussier régnait sur l’assemblée ; il fit décider, à l’unanimité, qu’on procéderait immédiatement au jugement. La présidence, pour plus de solennité, fut attribuée à Colfavru, le futur député radical de Seine-et-Oise : il avait, avec Hugo, longtemps représenté, dans les îles anglo-normandes, la liberté proscrite ; il appartenait à ces « victimes du Deux-Décembre, » honorées au lendemain du Quatre-Septembre et pensionnées dans la suite. Thirifocq, qui devait, peu de mois après, mêler la maçonnerie à la Commune, fut un acte d’accusation contre les deux frères couronnés ; l’assemblée frémissante allait passer au vote, lorsque Colfavru, qui était sérieux, eut un scrupule de légalité. Il expliqua que certainement le roi de Prusse avait, par les journaux, connu la citation, mais que régulièrement il fallait la lui transmettre par les voies diplomatiques, « que le citoyen Jules Ferry avait promis le concours du gouvernement, et qu’aussitôt la citation parvenue à son adresse, il serait procédé ainsi que les usages judiciaires le comportent. » Le meeting approuva : sur l’acte d’accusation de Thirifocq, quatre-vingt-dix maçons, représentant leurs ateliers, échelonnèrent leurs signatures ; et une commission de sept membres fut nommée pour obtenir du gouvernement un sauf-conduit qui permettrait de porter la citation. L’histoire n’eut