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En voici un exemple :


La vie humaine est environnée et quasi assiégée de misères infinies. Sans aller plus loin, puisque notre corps est un réceptacle de mille maladies et même nourrit en soi les causes, quelque part où aille l’homme, il porte plusieurs esprits de mort avec soi, tellement qu’il traîne sa vie quasi enveloppée avec sa mort. Or que dirons-nous autre chose, quand on ne peut avoir froid ni suer sans danger ? Davantage, de quelque côté que nous nous tournions, tout ce qui est à l’entour de nous non seulement est suspect, mais nous menace quasi apertement comme s’il voulait nous intenter la mort. Montons en un bateau : il n’y a qu’un pied à dire entre la mort et nous. Que nous soyons sur un cheval : il ne faut sinon qu’il choppe d’un pied pour nous rompre le cou. Allons par les rues : autant qu’il y a de tuiles sur les toits, autant sont-ce de dangers sur nous. Tenons une épée, ou que quelqu’un auprès de nous en tienne : il ne faut rien pour nous en blesser. Autant que nous voyons de bêtes, ou sauvages, ou rebelles, ou difficiles à gouverner, elles sont toutes armées contre nous. Enfermons-nous dans un beau jardin, où il n’y ait que tout plaisir : un serpent y sera quelque fois caché. Les maisons où nous habitons, comme elles sont assiduellement sujettes à brûler, de jour nous menacent de nous appauvrir, de nuit de nous accabler… (Opera Calvini, III, 263, 264).


Assurément, ni de cette vivacité dans le raisonnement ou pour mieux dire dans l’argumentation, ni de cette précision et de cette propriété de termes, ni de cette brièveté succincte et pénétrante, nous n’avions encore de modèles dans notre langue. Nous n’en avions pas non plus de cet art de « suivre » sa pensée, et, — tout en l’expliquant ou la paraphrasant, — de ne pas la perdre de vue. La paraphrase du Décalogue est, à cet égard, une des belles choses de la langue française.


V

C’est en cette même année 1541, qui vit paraître l’édition française de l’Institution, que, sur les instances de tout un grand parti, Calvin, après avoir fait quelque difficulté de rentrer à Genève, avait fini par y consentir. Mais il avait cette fois posé ses conditions, dont la première était l’institution d’un consistoire, ou tribunal ecclésiastique, chargé de maintenir, par tous les moyens que « le bras séculier » mettrait à sa disposition, la pureté de la doctrine, l’intégrité des mœurs, — et l’autorité des ministres. La résistance fut d’ailleurs encore vive, et les Genevois ne se résignèrent pas sans combat. Douze ans durant Calvin dut lutter contre un peuple qui avait commis cette erreur de voir