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Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 162.djvu/109

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piano n’occupent assurément pas le rang des quatuors de l’un et des opéras de l’autre. Dans l’abondance, dans la profusion des sonates de Haydn, le hasard est plus sensible que le progrès. « Haydn, ici, ne s’est pas, comme Beethoven, élevé par degrés. Il écrivait à propos de tout et de rien. Nulla dies sine lined paraît avoir été sa devise[1]. » En 1780, il publia chez Artària six sonates. L’une (en ut dièze mineur, no 21,) « commence par un morceau intéressant. Elle finit par un beau menuet et trio, où le maître approche, et très près, de Beethoven. Quant au morceau du milieu (Scherzando), il est identique au premier morceau d’une autre sonate (no 24) du même recueil. Haydn, en envoyant les sonates à l’éditeur, lui signale cette identité et le prie d’en faire mention au verso de la page de couverture : « Il m’eût été facile, ajoute-t-il, de choisir cent autres thèmes au lieu de celui-là. Si je vous avertis, c’est uniquement afin de prévenir le reproche que pourrait m’attirer, de la part des critiques et en particulier de mes ennemis, cette légère et volontaire rencontre[2]. »

Pour résumer l’histoire de la sonate, on dit communément : Emmanuel Bach a fondé l’édifice, Haydn et Mozart l’ont construit, et Beethoven l’a couronné. Cela est bientôt dit, et trop sommairement. Il faut, avec l’historien anglais, préciser et distinguer davantage. Bach a fait plus que poser les fondations, et Beethoven, lui, n’a pas craint parfois de les ébranler. Mais Haydn et Mozart ont trouvé la maison debout. Quelques morceaux d’architecture leur ont paru démodés et de style rococo ; ils les ont repris dans un style plus large ou plus serré. Ils ont enrichi la matière même de l’œuvre, ils en ont agrandi les dimensions, et, donnant plus de valeur aux élémens essentiels, ils les ont réunis entre eux par des liens et comme par des joints plus forts.

Deux sonates de Mozart me semblent, pour des raisons diverses, également dignes d’une attention particulière. L’une est la Fantaisie et sonate en ut mineur ; l’autre, la sonate en la mineur. Si les sonates pour piano ne sont pas un des chefs-d’œuvre du musicien de Don Juan, la Fantaisie et sonate, surtout la Fantaisie en est un : l’un des plus extraordinaires, et, parmi tant de sommets radieux, peut-être l’unique sommet couronné de nuages et frappé de la foudre. « Mes premiers vers sont d’un enfant… les derniers à peine d’un homme, » disait Alfred de Musset. Elles

  1. J. S. Shedlock.
  2. Id.