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sonates pour piano) ne semble pas venir du passé, mais aller vers l’avenir. Elle ne conclut pas : elle inaugure ; elle n’est pas un effet, mais une cause. Ouvrez sa première sonate, je veux dire celle qui figure la première dans l’édition (déplorable à tous égards) publiée par la maison Peters, vous croirez presque reconnaître la première sonate, — vraiment la première, celle-là, — de Beethoven. La ressemblance est dans l’invention mélodique ; elle est aussi déjà dans le développement, dans cet art, que Beethoven possédera pleinement et qui s’annonce ici, de tirer d’un fragment ou d’un éclat du thème primitif un groupe et comme un organisme nouveau. La beauté de cette sonate (au moins du premier morceau) consiste pour ainsi dire en des accens. Une autre sonate (de 1780, la mineur) est belle surtout par les traits, par la rapidité de leur course et l’aplomb de leur chute, par une virtuosité qui, loin d’être un luxe inutile, n’est que la forme nécessaire de la pensée, ou plutôt ne se distingue pas de la pensée elle-même. C’est à peine si de temps en temps revient à la mémoire du fils l’écho d’un prélude ou d’une gigue paternelle. Plus souvent un gracieux andante annonce Haydn et Mozart ; ailleurs, dans l’ombre déjà tragique d’un adagio, Beelhoven passe un moment et disparaît, mais il passe. M. Shedlock dit vrai : pour le talent et, si j’ose dire, le métier, Haydn et Mozart sont les élèves d’Emmanuel Bach ; mais Beethoven est son fils par l’esprit. Kuhnau n’était qu’un prophète lointain ; Philippe-Emmanuel est le précurseur, le flambeau dont parle Bossuet, et qu’il faut à la faiblesse de nos yeux pour chercher le jour.

Il n’est pas le seul, et, sans être encore la lumière, Haydn et Mozart ont eux aussi rendu témoignage à la lumière. Témoignage le plus souvent aimable et plein de charme. La rudesse, la violence en est absente, mais non pas l’énergie, ni la grandeur. La grâce ne fait pas le mérite de la première sonate de Haydn (celle du moins que Peters, avec son mépris accoutumé de la chronologie, nous donne pour la première). En cette œuvre de maturité M. Shedlock admire plutôt l’audace. Tandis que la première et la seconde partie sont en mi bémol, l’adagio, qui les sépare, est en mi naturel. Ce voisinage — ou cet éloignement — fait merveille. Autrefois il dut faire scandale. De nos jours, dans une sonate pour piano et violoncelle de Brahms, une hardiesse analogue a paru nouvelle ; elle n’était que renouvelée.

Parmi les œuvres de Haydn et de Mozart, les sonates pour