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LES TRONÇONS DU GLAIVE.

ruait par fugues, avide d’échapper au camp, de retrouver des plaisirs dont la privation centuplait la valeur : un bon repas, un bain, lire les journaux, coucher dans un lit ; pour d’autres, un assouvissement de luxure et d’ivresse. Hôtels et cafés étaient combles ; la Boule d’Or et l’Hôtel de France pleins de généraux, les rues et les bouges gorgés de soldats. Après tant de misère, ce bien-être dissolvait. Une animation bouleversait le commerce et la ville, où magasins et boutiques bourdonnaient de foule bigarrée. À toute vapeur, par les voies ferrées, se succédaient des trains chargés de troupes, d’approvisionnemens et d’armes. Centre énorme où affluaient les ressources de la France, les envois de Rennes, de Nantes et de Bordeaux pour ravitailler, remettre debout ces multitudes, où refluaient tant d’hommes débandés, accourant vers un peu de joie comme des éphémères à la flamme. Que réservait demain ? Cette question, que tant d’officiers et de soldats perdus dans le rang se posaient, un seul homme, obstiné dans sa foi, l’affrontait avec une héroïque espérance. C’était celui qui des champs de Coulmiers, de Loigny, de Josnes, de Vendôme, par des retraites où sa pensée infatigable triomphait de l’épuisement des hommes et de l’acharnement de la nature, avait ramené jusque-là son armée bien lasse, mais capable de se battre et de vaincre encore, surtout de reprendre le plus tôt possible l’élan vers Paris, pensée constante, but suprême. C’était Chanzy « le Tenace. » Dès les cantonnemens et les bivouacs établis, fin décembre, sur les positions à garder, il avait décidé, tandis qu’on arrêterait un plan et que les troupes respireraient, de conserver le contact et l’offensive. Ainsi il parait à toute éventualité, surveillant l’ennemi, prêt à le recevoir, en attendant de pousser de nouveau sur la capitale. Justement, il venait d’en recevoir des nouvelles par ballon. Le capitaine de Boisdeffre, messager de Trochu, lui annonçait qu’il n’y avait plus d’approvisionnemens que jusqu’au 20 janvier ; il fallait donc se hâter. C’est alors que Chanzy, fidèle à sa grande idée d’opérations concentriques, réclamait par lettres, dépêches, missions d’officier, des éclaircissemens auprès du ministre ; il signalait la situation précaire de la grande ville, voulait qu’on le tînt au courant des mouvemens de Faidherbe et de Bourbaki ; puis, désapprouvant la marche à grande envergure de celui-ci, dans les neiges de l’Est, quand tout devait porter sur Paris, il soumettait à Bordeaux un plan général, coordonnant le triple effort. Mais Freycinet avait tenu bon, per-