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pourrait appeler spécifique. « Les petites histoires qu’inventait Haydn pour éveiller son imagination, ne sont que des contes d’enfans auprès des pensées profondes, des événemens tragiques, des chefs-d’œuvre de Platon, de Shakspeare et de Gœthe, où Beethoven trouve l’aliment de son esprit et l’aiguillon de sa sensibilité. Les grandes sonates de Beethoven ne sont pas des compositions ingénieuses ou des tableaux de genre : elles sont des drames réels et vivans[1]. »

Alors même que nous ne les comprendrions qu’à demi, croyons en elles tout entières. Que la foi supplée à notre intelligence bornée, à notre sensation imparfaite. Præstet fides supplementum sensuum defectui. En étendue comme en profondeur, ces œuvres suprêmes sont pour ainsi dire à la limite. On n’imagine rien au-delà. Carlyle appelait la musique « une sorte d’inarticulée et insondable parole qui nous amène au bord de l’infini et qui nous y laisse quelques momens plonger le regard. » C’est bien là que les dernières sonates de Beethoven nous amènent et qu’elles nous laissent.


III

« Toute chose ne fait que croître ou décliner : All things are growing or decaying[2]. » La sonate — je veux dire l’être ou l’espèce sonate — a trouvé chez Beethoven le terme de sa croissance et le commencement de son déclin.

Dans la brochure que nous avons citée plus haut, M. Weingartner, à propos de la symphonie, parle ainsi de Beethoven et de ses successeurs : « Un léger sentiment de mélancolie s’empare toujours de moi quand, sachant la grandeur de Beethoven et étant pénétré de la profonde portée de ses créations, je me rappelle que beaucoup de compositeurs, après lui, ont entrepris et entreprennent d’écrire des symphonies. Devant l’abondance intarissable de pensée et de sentimens exprimés par Beethoven dans sa musique, une telle entreprise semble vraiment presque aussi insensée que celle de vouloir monter plus haut qu’un sommet. En effet, l’apparence des œuvres est semblable à celle des symphonies, souvent même les moyens extérieurs semblent beaucoup plus grands ; mais l’auteur ne possède pas cette force d’âme et

  1. M. Shedlock.
  2. Herbert Spencer.