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alors la mystérieuse mais profonde concordance de la poésie et de la musique, puisque, pour exprimer le tourment de l’absence, toutes les deux ont recours au même signe, verbal ou sonore : une question éternelle, éternellement sans réponse.

Le finale est une ode à la joie : moins grave et moins religieux, moins développé surtout, cela va sans dire, que le finale de la neuvième symphonie, il est plus passionné. Il exprime la joie sous toutes ses formes, avec toutes ses nuances : depuis l’ivresse légère, qui rit et qui pétille, jusqu’au transport haletant, presque fou. Ainsi, comme nous l’observions plus haut, le sentiment beethovenien se montre en cette sonate dans sa plénitude et sa perfection. Dans sa généralité d’abord : car aucun mode, aucun degré n’en est exclu, car le sens de l’œuvre en déborde infiniment le sujet et le héros : c’est le poème de tout adieu, de toute absence et de tout retour. Dans son intériorité, car la description, le pittoresque n’a presque pas de place ici. Enfin dans sa bienfaisance, aurait dit Taine, ou dans sa moralité supérieure, puisque, en même temps qu’un miracle de beauté, le premier morceau de cette sonate est un exemple, et comme un symbole de patience, de courage, en un mot, de vertu.

Les cinq ou six dernières sonates, de l’op. 101 à l’op. 111, sont assurément les plus sublimes ; je ne dirai pas les plus parfaites, ni les plus claires, les plus égales ou les plus formelles. Impossibles à jouer pour qui n’est pas un maître, on ne les comprend qu’à la longue et pas toujours tout entières. Il est permis de leur préférer, avec M. Shedlock, les sonates de la seconde manière : la Juliette ou l’Appassionnata. Elles nous dépassent par la hauteur des idées et l’ampleur quelquefois démesurée du développement ; elles nous étonnent et peuvent même nous effrayer d’abord par la liberté, la fantaisie et l’audace. Tout y est porté au comble. Tout élément, à commencer par le plus simple de tous : la mélodie ; toute forme : variations ou fugue (op. 106 et 109), s’y trouve non seulement élevée, mais en quelque sorte dilatée prodigieusement ; à moins que, par un miracle inverse, la pensée, au lieu de se donner carrière, s’enferme une dernière fois dans la concision classique (op. 111, premier allegro), ou se condense encore plus brièvement (op. 110) dans le raccourci d’un récitatif ou d’un arioso.

La grandeur en quelque sorte morale de la musique s’accroît, dans les dernières sonates, avec cette autre grandeur qu’on