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Cela n’est peut-être pas assez dire du Schubert des lieder ; mais du Schubert des symphonies et des sonates, cela est la vérité même. Avec une touchante humilité Schubert sentait lui-même sa faiblesse et l’avouait. En 1828, étant déjà l’auteur d’innombrables chefs-d’œuvre, il voulut se remettre à l’école et demanda les leçons de Sechter, un des maîtres les plus célèbres d’alors. Il le vit une seule fois ; peu de jours après, « il entrait dans la vallée des ombres de la mort. »

Pas plus que les contemporains de Beethoven, ses successeurs ne l’ont égalé. Schumann, comme Schubert, ne paraît auprès de lui qu’un enfant, plus irrité seulement que Schubert et plus farouche. Tandis que l’œuvre pour piano de Beethoven ne consiste guère que dans les trente-deux sonates, l’œuvre pour piano de Schumann renferme deux sonates seulement. Le maître de Zwickau, dans une de ses lettres, a défini la symphonie avec chœurs, « le passage du génie classique au génie romantique[1]. » Il a été lui-même le premier et peut-être le plus glorieux représentant de ce nouveau génie, dont la sonate, pas plus que la symphonie, peut-être moins encore, ne pouvait être ni ne fut en effet la forme par excellence. L’état d’esprit et d’imagination habituel de Schumann convenait mal à la composition régulière : « Je suis resté toute la semaine au piano, à composer, écrire, rire et crier, tout cela à la fois. Et c’est tout cela que vous trouverez décrit dans mon op. 20 (Grande Humoreske) qui est déjà à la gravure. Vous voyez comme à présent je travaille vite. Une idée me vient, je l’écris, on la grave. Voilà ce que j’aime. Douze feuilles en une semaine[2]. » Schumann a composé cent chefs-d’œuvre de cette manière, et de cette allure. Mais ses deux sonates pour piano lui donnèrent plus de mal, et ne sont pas ses chefs-d’œuvre. Il travailla deux ans à la première (op. 11, en fa dièze mineur) ; à la seconde (en sol mineur, op. 22) huit ans. On peut en conclure qu’il avait pour ce genre de composition peu de facilité. Peu d’enthousiasme aussi : en 1839, ses deux sonates achevées, il déclare que « le genre de la sonate pourra produire encore de temps à autre quelques beaux exemplaires, et qu’il les produira sans doute, mais que ce genre n’en semble pas moins parvenu au terme de son évolution[3]. »

  1. Cité par M. Shedlock.
  2. Ibid.
  3. M. Shedlock.