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Il ne se trompait pas, le grand artiste, dont l’œuvre pour piano, la plus vaste pourtant et la plus admirable qui soit après celle de Beethoven, contient deux sonates seulement. L’œuvre de Chopin, un autre maître du piano, n’en renferme pas davantage et, malgré la beauté de la marche funèbre, on sait que le Chopin véritable est ailleurs : dans les Polonaises ou les Ballades, les Valses, les Préludes, ou les Mazurkas.

Trois sonates de Brahms, une de Liszt (celle-ci peut-être la plus intéressante, mais unique), tels sont les derniers spécimens — pour ne citer que les plus insignes — d’un genre qui s’épuise et d’une forme presque abolie. Et comme le genre même dont il traite, le livre de M. Shedlock faiblit à la fin et se perd. La matière lui manque. L’historien pourtant ne se décourage pas. Il semble attendre encore, — et précisément de la sonate de Liszt, — une transformation, une résurrection. En tout cas, celle-ci tarde à se produire. M. Shedlock ne désespère pas d’entendre crier un jour : « La sonate est morte, vive la sonate ! » Peut-être ; je crains plutôt que nos neveux, insensibles à tout ce qui ne sera pas musique de théâtre, autrement dit musique appliquée et publique, n’aient plus un jour, pour les chefs-d’œuvre mêmes de la musique intime et de la musique pure, que le mot célèbre et dédaigneux : « Sonate, que me veux-tu ? »


CAMILLE BELLAIGUE.