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apparaît quelque factorerie, dont les bâtimens s’étalent en couleurs très claires au bord de l’eau. Des groupes d’îles verdoyantes dépistent l’orientation des rives, on se croirait dans un lac ; sur les bancs de sable, au loin, on aperçoit d’énormes crocodiles ou des pélicans, des ibis, des aigrettes, que le bruit de notre machine met en fuite. Pour me montrer un des plus jolis aspects de la navigation sur le fleuve, notre bateau quitte, à moitié route, la grande eau et s’engage dans ce qu’on appelle les criques, sortes de canaux latéraux formés par une incroyable quantité d’îles. L’aspect en est vraiment des plus rians. Parfois, quelques indigènes apparaissent sous le feuillage, tirant à eux une pirogue, ou groupés au repos, près de leurs pauvres huttes.

Nous longeons maintenant l’île de Mateba, où 14 000 hectares de pâturages ont permis de constituer un troupeau de 4 ou 5000 bœufs, qui assurent le ravitaillement des stations du bas Congo ; voici, à notre droite, la « Roche Fétiche » sur la rive portugaise, une maisonnette au toit rouge qui abrite un canon : elle fait pendant au fort congolais de Shinkakasa, dont les coupoles blindées rasent le sol. Un peu plus loin, c’est Boma qui se présente, étageant sur une colline allongée ses installations nombreuses de la rive, et, au-dessus, la résidence du gouverneur, l’église, le Palais de Justice appuyés sur des bouquets de verdure, d’où émergent quelques baobabs géans. Nous accostons au débarcadère, d’où un tramway à vapeur nous mène au Gouvernement, gardé par deux factionnaires noirs. M. Wangermée, qui remplit en ce moment les fonctions de Gouverneur général, veut bien m’y offrir l’hospitalité ; et, tout en commentant les nouvelles d’Europe, je ne puis me lasser d’admirer, de la véranda où nous nous trouvons, le magnifique panorama qui s’étale sous mes yeux. Boma est à nos pieds, ville naissante, primitive encore, mais déroulant déjà des voies larges, drainées et nivelées, dessinant des squares ornés d’arbres aux cimes fleuries d’un rouge éclatant ; plus loin s’étend le fleuve coupé par une grande île, en partie boisée. La rive opposée est à cinq kilomètres et paraît cependant toute proche, tant la transparence de l’air est grande.

Le soir, dîner officiel avec les chefs de service. Je prends grand intérêt à écouter leur conversation, qui est vite revenue aux choses d’Afrique, et j’entends soutenir des théories qui éclairent de lueurs nouvelles pour moi les données banalement courantes sur les indigènes. Le bonheur des noirs, m’assure un