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se venger, va le dénoncer à la reine comme voleur. Il ne doit son salut qu’à l’amour de la douce princesse Kessey qui intercède pour lui auprès de la reine. Il obtient, fort du prestige que lui donne son mystérieux talisman, la main de la douce Kessey, et ces heureuses fiançailles sont l’occasion de grandes réjouissances dans toute la cour. » Sous leurs costumes tout claquans d’or, et couronnés du mas, sorte de diadème en forme de tour, les danseuses s’agitent et se dandinent. La lumière électrique inonde le ballet, les dorures, les laques, le décor, les vagues visages de cire des musiciens accroupis, et une légère musique, grêle, acidulée, résonne, monte, s’enroule à la pantomime, l’enrubanne comme d’une vignette. Joli, un peu enfantin, tout cet ensemble est agréable. Mais quelle étoile cambodgienne vois-je danser devant moi, dans ce spectacle indo-chinois ?… Mlle Cléo de Mérode !… Oui, Mlle Cléo de Mérode elle-même, avec ses bandeaux !… Et la visite que je vais faire aux coulisses me fixe sur le vrai et le faux de toute cette Indo-Chine de parade.

L’orchestre est bien annamite, et vous ne pouvez vous tromper ni aux physionomies des musiciens, ni surtout à celle de leur chef. En longue souquenille noire, et d’une étonnante minceur, d’une minceur d’archet vivant, avec une figure de vieil ivoire becqueté, il parle cependant français, et me renseigne sur ses artistes, tous en souquenille noire comme lui. Ils sont huit joueurs de tranh, ou de guitare à seize cordes, un joueur de kim, ou de guitare à quatre cordes, un joueur de co, ou de violon à deux cordes, deux joueurs de doc, ou de violon à une corde, un joueur de tiou, ou de flûte, un joueur de ty, ou de guitare à l’ongle, un joueur de liou, ou de violon à grand archet, un joueur de tam, ou de mandoline qu’on pince d’un bout de corne… Le chef, avec beaucoup de complaisance, m’explique tous ces instrumens, et, de ses longs doigts pointus, m’écrit leurs noms sur la feuille d’un carnet. Je suis donc bien vraiment ici en Indo-Chine, mais pour quelques secondes seulement, et une question, tout de suite, me rejette dans un Annam et un Cambodge tout de convention. Les musiciens eux-mêmes, tout annamites qu’ils soient, ne jouent jamais, chez eux, dans les conditions où ils jouent là. Il existe bien, d’autre part, un théâtre cambodgien, ou l’équivalent d’un théâtre cambodgien, mais qui ne ressemble en rien à celui qui est là. La Bague enchantée, en outre, comme le programme même l’annonce, est tirée de légendes cambodgiennes, mais n’est