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s’étaient par-là même ouvertement engagés à servir ensemble, jusqu’au bout, la même cause, eussent été en parfait accord, ils n’auraient pas eu beaucoup à se préoccuper du bruit fait par les répugnances d’un petit peuple dont ils tenaient après tout le sort entre leurs mains : mais il s’en fallait bien que cette union et surtout cette sympathie entre eux fût complète ; et là allaient tout de suite apparaître les difficultés inhérentes à l’alliance de deux États si longtemps et si récemment encore ennemis, difficultés accrues même dès le premier jour par la diversité de tempérament et de caractère de ceux qui les représentaient.

Le nouveau secrétaire d’Etat anglais, lord Palmerston, appartenait à la fraction du parti conservateur qui s’en était détachée à la suite de l’illustre Canning, en raison de dissidences portant surtout sur deux points considérables de la politique intérieure, tels que l’émancipation des catholiques et la réforme parlementaire. C’est à ce titre qu’il était appelé, comme une recrue très importante, dans les rangs d’un cabinet libéral. Mais ni lui, ni personne ne pouvait oublier qu’entré très jeune et s’étant distingué de bonne heure au parlement, il avait siégé pendant plusieurs années comme secrétaire du département de la Guerre à côté de Liverpool et de Castlereagh, dans les momens les plus vifs de la lutte à outrance engagée contre la domination française. Il avait partagé avec eux d’abord toute l’ardeur du combat, puis toute la joie du triomphe. N’avait-il pas même dû son premier succès oratoire à la défense de l’acte certainement le plus difficile à justifier de ces temps où tant de méfaits ont été commis, le bombardement de Copenhague par une flotte anglaise sans déclaration de guerre[1] ? Nul plus que lui n’avait ressenti cet enivrement qui exalta le patriotisme anglais après Waterloo. S’opposant, dans l’année qui suivit la paix, à une réduction d’armemens qui lui était demandée : « Je pense, avait-il répondu avec hauteur, qu’il n’y a point d’Anglais qui ne désire que l’Angleterre reste et continue à paraître la grande nation[2]. » Je crois bien qu’il nous est arrivé à nous aussi, dans nos jours heureux, de nous approprier une épithète à laquelle d’autres ne renonçaient pas à prétendre, mais les mots changent de sens suivant la langue qu’on parle et le public auquel on s’adresse. La vanité française, tout aussi blessante peut-être pour l’amour-propre de l’étranger, se contente

  1. Bulwer, Life of Palmerston, t. Ier, p. 79. )
  2. Ibid., p. 138.