Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 162.djvu/262

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

défense légitime du pouvoir que la nation lui avait confié. Mais, dans l’état de surexcitation d’une partie du public belge, et dans cette première fièvre d’esprit d’indépendance qui s’était emparée même des plus sages, l’effet, loin de faire reculer, fut au contraire d’encourager les promoteurs d’une idée qui n’avait peut-être été d’abord qu’un ballon d’essai lancé pour jeter le trouble dans les conseils timorés du ministère français. La candidature du duc de Leuchtenberg apparut comme une éclatante protestation à faire contre le joug qu’on voulait faire subir à la Belgique ; et l’irritation fut grande surtout contre la France, qui, ne voulant ni s’associer à ce qu’on tentait de faire pour elle, ni laisser chercher en dehors, enfermait par cette série de réponses négatives la nation dans l’immobilité, sans paraître prendre souci de prolonger par-là un état d’intolérable anarchie.

Le nouveau candidat ne tarda pas à réunir un groupe d’amis plus à craindre d’abord par leur ardeur que par leur nombre, mais qui s’accrut de jour en jour, et compta bientôt dans ses rangs des hommes considérables des deux partis, catholiques et libéraux. Le peuple, en même temps, se déclarait assez vivement en sa faveur. Dans une représentation théâtrale, on produisit sur la scène un buste du jeune prince, qui fut salué par les cris de : Vive Auguste Ier ! On vendait le portrait du prétendant dans les rues ; on annonçait qu’au premier appel il était prêt à monter à cheval et à apparaître. Un comité d’action se formait à Bruxelles même, composé de personnages connus du parti bonapartiste français, parmi lesquels figuraient des généraux de l’Empire en retraite, qui se vantaient tout haut des relations qu’ils entretenaient avec leurs anciens camarades rentrés en activité de service. Il n’y eut bientôt plus que deux candidats, Nemours et Leuchtenberg, qui pussent être mis en balance, et les meilleurs amis de la France durent lui faire savoir qu’elle devait ou accepter l’un ou subir l’autre. C’était lui donner le choix entre un manque de parole qui la mettait en rupture déclarée avec toute l’Europe, ou l’établissement à ses portes d’une royauté plus directement, plus personnellement hostile contre elle que ne l’avait été le royaume des Pays-Bas. Je ne crois pas que jamais gouvernement eût été placé dans une plus poignante alternative.

Un mot aurait suffi cependant pour faire échapper le gouvernement français à ce redoutable dilemme, et ce mot, c’était l’Angleterre qui pouvait le prononcer. Si l’Angleterre eût dit tout de suite