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qu’en raison du danger que cette nomination pouvait faire courir à une alliée qui donnait le bon exemple en faisant le sacrifice de toutes ses visées personnelles, elle s’opposerait aussi nettement à Leuchtenberg qu’à Nemours, tout était dit, et les deux agens anglais et français à Bruxelles, agissant de concert, auraient aisément fait sortir leur politique connexe du défilé où on prétendait l’enfermer. Le spectacle de leur accord aurait même valu et aurait été plus efficace que les déclamations de Palmerston jetant feu et flamme contre la candidature française, et dont lord Ponsonby se faisait le bruyant écho. Pourquoi cette parole, qui devait être sur les lèvres de tout le monde, ne fut-elle pas articulée ? Pourquoi, tandis que Ponsonby ne pouvait entendre de sang-froid prononcer le nom de Nemours, quand, au contraire, on parlait de Leuchtenberg, gardait-il le silence et détournait-il la conversation ? Ce contraste était significatif et presque éloquent. N’était-ce pas faire entendre qu’on laisserait ouvrir sans bruit à l’un la porte qu’on fermait à l’autre avec éclat ? C’est du moins ainsi que cette attitude d’indifférence fut interprétée, et l’agent français, M. Bresson, en rendait compte avec autant de surprise que d’impatience. J’avoue que j’ai eu, au premier moment, peine à croire que ce soupçon fût fondé. Je ne pouvais voir quel intérêt l’Angleterre avait à favoriser, dans l’état de fermentation guerrière où était l’Europe, un choix qui évoquait tous les souvenirs napoléoniens. Espérait-elle ramener de force, en rendant vaine toute autre solution possible, la candidature du prince d’Orange, qu’elle avait dû retirer devant son impopularité reconnue ? C’est possible, et on prêtait assez généralement cette pensée à son agent ; ou bien, se plaisait-elle seulement à mettre à l’épreuve la bonne foi de Louis-Philippe, et à jouir de son embarras, au risque d’accroître la pression morale qu’on faisait peser sur lui à un point qu’il ne pourrait supporter ? On peut tout croire en fait d’aveuglement de la passion haineuse de Palmerston : mais comment expliquer cette phrase que je trouve dans une lettre du sage lord Grey lui-même : « Je suis tenté de dire aux Belges : Puisque vous ne voulez pas du prince d’Orange, choisissez qui vous voudrez, pourvu que ce ne soit ni un Français, ni un Anglais. Mais je ne suis pas sûr qu’il convienne de ranger le Leuchtenberg dans la première de ces deux catégories[1]. » Faut-il croire que

  1. Lord Grey à la princesse de Lieven, 24 janvier 1831.