Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 162.djvu/269

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. de Flahaut traversait la mer, et avant même qu’il fût descendu à Londres à l’ambassade, une décision était intervenue qui rendait la conversation sur un tel sujet non pas inutile seulement, mais impossible. Par un protocole du 20 janvier, la Conférence venait de déclarer que le futur royaume de Belgique jouirait de la condition de neutralité que les traités assuraient à la Suisse. Le jour où on déclarait la Belgique intangible n’était pas celui où on pouvait songer à la partager. Ce que M. de Flahaut eut donc de mieux à faire, ce fut de ne pas ouvrir la bouche sur le motif qui l’amenait, et, comme il fallait pourtant en donner un à sa présence inattendue, qui faisait causer toute la société de Londres, il crut devoir prendre à part lord Palmerston pour lui offrir de signer avec la France un traité secret d’alliance offensive et défensive qui garantirait leur action commune pour faire face à tous événemens. Palmerston répondit, avec sa hauteur accoutumée, que l’Angleterre ne prenait jamais d’engagemens indéfinis de ce genre ; que, si la France était attaquée, elle la défendrait ; mais que, placée comme une sorte de médiatrice entre des intérêts opposés, le premier qui se rendrait coupable d’une agression serait sûr d’avoir affaire à toutes les forces britanniques. C’était au fond la même politique que Talleyrand conseillait à la France, mais en la résumant avec moins d’arrogance en ces termes : « La France ne recherche aucune alliance. Elle veut être bien avec tout le monde, mais seulement mieux avec quelque puissance suivant les événemens qui se présentent[1]. »

Mais d’une importance bien supérieure à toutes les alliances du monde était cette déclaration de la neutralité belge, que la Conférence venait de faire et qu’il faut saluer comme l’acte le plus bienfaisant, le plus digne de reconnaissance et de mémoire dont s’honore devant la postérité le siècle qui vient de finir. Quand on songe à ce qu’avait été, à ce qu’était la veille encore ce territoire belge, si bien appelé (comme je l’ai dit) par le roi Louis-Philippe la pierre d’achoppement de toute l’Europe, quand on se rappelle qu’il n’y en avait pas un lambeau qui n’en eût été disputé, dépecé à cent reprises par toutes les puissances, pas un coin de terre qui n’eût été piétiné, pétri par leurs armées, et inondé de leur sang, le jour où elles prirent en commun l’engagement de ne plus laisser entrer un soldat dans ce champ de perpétuelles

  1. Talleyrand à Sébastiani, 27 novembre 1830.