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s’était mis en devoir de forger des plans de politique et, dès le lendemain de son entrée en fonction à Londres, M. de Talleyrand l’avait vu arriver porteur d’un projet de solution pour la question que la chute du royaume des Pays-Bas posait à l’Europe.

Ce n’était pas moins qu’un plan de partage de la Belgique entière, donnant une fraction, naturellement la meilleure, à la France, une autre à la Prusse, une troisième à l’Angleterre, à qui serait dévolu, avec la ville d’Anvers, tout le littoral attenant de la Manche. Naturellement M. de Talleyrand ne s’était pas soucié de faire part de ces visées à la Conférence, qui ne lui aurait certainement pas laissé faire un pas dans ce champ d’aventure. Croirait-on cependant que cette fois M. de Flahaut revenait à la charge, son projet toujours en poche, et se disant autorisé à le communiquer par Sébastiani ? S’il disait vrai, et il fallait bien le croire, rien n’atteste mieux l’égarement d’esprit où l’angoisse d’une situation inextricable jetait cet infortuné ministre, et de quelles chimères aimaient à se repaître les conseillers politiques de presse ou d’estaminet dont il se laissait entourer. M. de Talleyrand eut sans doute quelque peine à réprimer un sourire, en faisant remarquer que peut-être l’Angleterre accepterait avec faveur l’idée de reprendre pied sur le continent à portée de la frontière française, et de remplacer ainsi avec avantage Calais et Dunkerque dont on avait eu tant de peine à la faire sortir, « mais je ne conseillerais jamais, ajouta-t-il, à un roi ou à un ministre français d’attacher leur nom à un acte que l’avenir jugerait avec une sévérité impitoyable. » Il ne faut jamais, concluait-il, se mettre en relation avec ceux qu’on ne peut atteindre chez eux. Et il écrivait en même temps à Madame Adélaïde qu’il soupçonnait de s’être laissé gagner par les paroles dorées de M. de Flahaut : « Abandonner à l’Angleterre une situation matérielle en Belgique, ce serait lui donner au Nord un nouveau Gibraltar, et nous nous trouverions un jour quelconque vis-à-vis d’elle dans une position analogue à celle de la péninsule ; une semblable concession sacrifierait d’une manière trop fâcheuse l’avenir au présent et nous coûterait un prix qu’on pourrait tout au plus accorder après des batailles perdues[1]. »

De si bonnes raisons n’étaient pas nécessaires, et il n’y eut même pas lieu de les développer jusqu’au bout. Pendant que

  1. Sébastiani à Talleyrand. 23 janvier ; Talleyrand à Madame Adélaïde, 24 janvier 1831.