Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 162.djvu/30

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
26
REVUE DES DEUX MONDES.

avantageuses de Quingey et de Mouchard. De son côté, Werder occupait Clerval. Baume-les-Dames. Le mouvement enveloppant avait réussi, Bourbaki était acculé, sans vivres, à Besançon. Que faisait donc Garibaldi ? Arrivé à Dijon, le 8, encore affaibli par la maladie, il y attendait l’ennemi, dont on lui avait dès les premiers jours signalé la marche. Ne se souciant pas plus de l’armée de Bourbaki que si elle n’existait pas, il se bornait, au mépris de sa véritable mission, à éviter soigneusement le contact, tout à son installation dans la ville, aux chamailleries de Bordone avec le général Pellissier, commandant les mobilisés. Les éclaireurs se repliaient. De toutes parts, les renseignemens affluaient, des sources les plus sûres, ne laissant nul doute sur l’approche, le passage de fortes colonnes. Bordone haussait les épaules, conseillait à Freycinet de se défier des racontars d’un préfet et d’une population « alarmistes. » Mais le bruit se faisait si pressant, colporté par les journaux de toute opinion qui, unanimes, demandaient pourquoi l’armée des Vosges demeurait inactive, la clameur des habitans était si forte que, le 18, il se décidait à une reconnaissance. Les Garibaldiens ne dépassaient pas sept kilomètres, rentraient le soir même, satisfaits, au son de la Marseillaise. C’était le moment où se dirigeant vers le Doubs, Manteuffel, pour masquer son opération, et pour maintenir à Dijon Garibaldi, détachait la brigade de Kettler : sept mille hommes allaient en paralyser quarante-cinq mille. Bordone, toujours mécontent, quoique récemment nommé général, arguait, pour ne rien faire, de soi-disant conflits avec Pellissier, qu’il créait seul. En vain Freycinet, multipliant reproches et cajoleries, l’adjurait de bouger. Poussant leurs avant-gardes, les Poméraniens arrivaient.

Dans la journée du 20, Frédéric de Nairve, qui, de la hauteur de Messigny, avait vu s’approcher des partis de cavaliers, sortait de la préfecture, où il s’était empressé de venir rendre compte. Encore irrité du dédain tranchant avec lequel Bordone l’avait accueilli, il s’en allait retrouver à l’hôtel la jolie fille dont il s’était amouraché à Autun et que, par un hasard singulier qu’il n’avait pas songé alors à approfondir, il avait, après son coup de main sur les uhlans de Verrière, retrouvée dans Dijon à peine évacué par les Prussiens. Madeleine lui avait sauté au cou, elle était plus en beauté que jamais, toute sa blonde chair éblouissante et fraîche comme un fruit. Depuis, il vivait avec elle, ne la quittant que pour les courtes exigences du service, des recon-