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LES TRONÇONS DU GLAIVE.

de Laval avaient, à son arrivée, supplié Chanzy de s’éloigner avec l’armée ; ceux de Pontarlier, demandé à Clinchant de ne pas résister ; Faidherbe révélait que, si la guerre continuait, tous les commandans des places fortes du Nord auraient contre eux les habitans. Un vertige frappait cette nation jadis belliqueuse, fière de siècles de victoires. Elle s’était détendue au culte, à la jouissance de l’argent. Quant aux paysans, dont la petite fortune naissait, ils ne voyaient qu’elle, le moment de cultiver en repos ces morceaux de terre qui les nourrissaient.

Et cependant, dans ce silence étouffant de l’armistice, là-bas, au pied des Vosges, le canon de Belfort tonnait toujours, comme une voix d’exemple et de reproche. Et non seulement Belfort, mais, petit îlot de pierre sur la montagne, dans la marée de l’invasion, Bitche arborait aussi les trois couleurs ; Denfert-Bochereau, Teyssier, enseignaient que vouloir, c’est pouvoir. Et dernièrement, au pont de Fontenoy, est-ce que des partisans hardis n’avaient pas montré tout le mal qu’on peut faire à l’ennemi en coupant les lignes de communication ? Mais voilà, avec leurs répressions de sauvages, les Allemands savaient trop bien ce qu’ils faisaient. Poncet, tout en parlant, était arrivé au quai. Retour d’Amérique, le steamer Ville-de-Paris débarquait toute une cargaison de canons, de fusils, de munitions. Les pièces neuves s’alignaient en longues files, sur la place. Poncet eut un geste navré :

— Regarde ! ce ne sont pas les armes qui manquent ; — et brusquement : — Cela fait peine à voir. Rentrons.

Le lendemain, Poncet apprit les détails de la séance : devant le Grand-Théâtre la place était couverte d’un déploiement de troupes. À l’exclusion de la garde nationale, soldats et marins barraient tous les coins de rues. On acclamait les gens célèbres, on criait frénétiquement : « Vive la République ! » Des députés de la droite passaient raides, l’air outragé. Favre, avec un soulagement visible, avait déposé au nom du gouvernement le fardeau sous lequel ils avaient fléchi ; puis la démission de Garibaldi élu par plusieurs départemens ; et lorsque, la séance levée, le vieux républicain avait voulu ajouter un mot, toute la droite le réduisant au silence, dans un concert de protestations. Les jours suivans s’écoulaient aux validations ; Grévy, nommé président, sortait enfin le coup de théâtre prévu, l’élévation de Thiers. Et le lendemain, récompensé de ses sapes prudentes, de ses longues