Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 162.djvu/320

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
316
REVUE DES DEUX MONDES.

sang pour la France. Des zouaves pontificaux, des mobiles avaient fait honneur à leurs noms illustres. Mais, pour un Charette, que de la Mûre ! Sur ces sept cent cinquante députés, combien seraient consciens du vrai devoir de la patrie ? combien auraient le courage de voter la guerre ? combien, au contraire, abriteraient leurs intérêts de parti derrière l’excuse de la raison ? En les voyant affluer, depuis quelques jours, ces inconnus dont il interrogeait anxieusement les visages, ces maîtres du destin de la France, il ne pouvait se défendre d’une émotion. Il essayait de se mettre à leur place, de penser avec leur âme. Ceux-là venaient des provinces foulées par l’occupation allemande, ils avaient vu saccager le sol, extorquer l’or, pendre et fusiller les francs-tireurs. Qui plus queux devait ressentir haine et vengeance ? Ceux-ci venaient des provinces libres ; ils en connaissaient les ressources, l’inépuisable fonds. Allaient-ils, par peur des revers possibles, de l’invasion, tout sacrifier d’un coup ? D’autres venaient de Paris, conservaient à leurs traits la fatigue du siège. Poncet espérait en eux davantage ; la plupart étaient républicains. Mais ceux dont la vue lui crevait le cœur, c’étaient les représentans du Haut et du Bas-Rhin, de la Meurthe et de la Moselle. Ils erraient dans cette foule avec un air d’angoisse, un effarement de victimes ; ils se heurtaient à une pitié stérile, comme étrangers déjà. Pensant au voyage de tous ces hommes en qui reposait la volonté du pays, à leur traversée des monts, des bois, des plaines encore endormis sous la neige ou déjà réveillés de printemps, à ces trains filant sur les voies abîmées, le long des villages en ruines, des champs de bataille déserts, bossues de tombes sous des vols tournoyans de corbeaux, il se disait : « Ah ! s’ils pouvaient, s’ils voulaient comprendre qu’il n’est pas en ce moment question de république, d’empire et de royauté, mais de la France même ! Pour changer de draps le malade, ils vont le tuer ! Ce qui fait vivre les peuples, c’est le sens moral, la volonté, l’honneur. Une nation qui pour acheter le repos se mutile, désormais traîne sa plaie, passe infirme au second rang. La raison, ce serait d’agir en fous, de se battre encore ! Et la preuve, c’est la peur qu’en a Bismarck, sa crainte d’une Assemblée selon le cœur de Gambetta. »

Mais le pays avait voté. Vingt-six départemens désignant M. Thiers, contre dix en faveur du ministre de la Défense, inclinaient devant l’ennemi le plateau de la balance. Maintenant la guerre avait brisé tout ressort ; on n’en voulait plus. Les notables