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LE POÈTE NOVALIS.


C’est en effet des années 1798 et 1799 que datent son Hymne à la Nuit, ses Chants à Jésus et ses Chants à Marie, trois petits cycles qui forment en vérité toute son œuvre poétique, avec les charmantes chansons semées dans le premier chapitre d’Henri d’Ofterdingen et une chanson sans titre, plus jolies encore, où, enivré de la sève ardente du printemps, il croit voir la nature entière accélérer, d’un élan soudain, la lente série de ses transformations. « Peut-être est-ce le nouveau règne qui commence ? La pierre inerte va devenir plante, l’arbre va s’animer à la vie animale, et dans l’animal va apparaître l’homme ! » Pensée qui, d’ailleurs, se retrouve à chaque page des Fragmens, s’accompagnant de cette autre pensée, non moins platonicienne : que l’homme, étant maître de la nature, a le devoir de l’aider à se transformer, de diriger son évolution dans le sens de la bonté et de la beauté. Et tous les poèmes de Novalis sont également riches de pensées profondes et nouvelles ; mais surtout ce sont des poèmes, ou plutôt des chants, et les plus harmonieux qu’ait peut-être connus la langue allemande. Non que le poète ait jamais appliqué pleinement une autre de ses idées, qui consistait à croire que, la poésie étant une forme de la musique, on pouvait écrire des vers dont tout le sens fût dans leur rythme et la mélodie de leurs syllabes, avec l’aide seulement de certaines images fixant et précisant l’effet musical. Cette poésie spéciale, dont on trouverait la théorie complète éparse dans les Fragmens, Novalis a laissé à d’autres le soin de la créer. Tout au plus a-t-il, dans son Hymne à la Nuit, créé le vers libre, si « libre » que, lorsque les Schlegel ont publié le poème dans leur revue, ils l’ont offert au lecteur comme un morceau de prose. Et encore le vers libre, dans ce poème, n’est-il en quelque sorte qu’un artifice de composition, destiné à rendre plus vive la montée du sentiment lyrique : car de page en page le vers devient moins « libre, » s’entremêle davantage de rythmes réguliers, pour aboutir enfin à des strophes d’une prosodie toute classique, légères et fluides comme un chant de Mozart.

L’incomparable beauté musicale des vers de Novalis n’est obtenue ni aux dépens de l’idée, ni aux dépens des règles et de la tradition. Rien de moins révolutionnaire que les Chants à Marie ou que la Chanson du printemps. Mais ni les idées ni les règles n’avaient de quoi embarrasser un poète qui, d’instinct, en toute chose ne voyait que la beauté, et qui, depuis l’enfance,