Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 162.djvu/425

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
421
LE POÈTE NOVALIS.

poésie. Mais en même temps ce roman devait être une encyclopédie de toutes les sciences, un miroir symbolique de l’homme et de la nature. Plus encore qu’un Wilhelm Meister, ce devait être un Faust poétique.

Des notes laissées par Novalis, et les souvenirs de ses amis, nous permettent de nous représenter assez exactement le plan général d’Henri d’Ofterdingen. Le héros du roman est un jeune chevalier qui, ayant entendu parler d’une mystérieuse « petite fleur bleue, » se met en route à travers le monde pour la conquérir. Après avoir découvert, en chemin, la beauté de la nature, il rencontre une belle jeune fille et se fiance avec elle. Mais bientôt le désir de la fleur bleue le pousse de nouveau à de longs voyages. Il visite la Grèce, il prend part à une croisade et connaît les émotions de la guerre, il s’enferme dans un cloître et approfondit les divers systèmes de philosophie ; puis, de retour en Europe, il devient confident de l’empereur Frédéric II, ce qui lui donne l’occasion de s’initier aux secrets de la politique. Enfin, lorsqu’il a tout exploré et tout analysé, lorsqu’il a traversé toutes les sphères de la réalité et du rêve, il retrouve sa fiancée, et s’aperçoit qu’elle seule est la « petite fleur bleue. » Et Henri d’Ofterdingen devient poète, et, comprenant que tout l’univers n’est que le produit de son âme, il évoque, par ses chants, il crée un univers meilleur et plus beau ; il procède à cette transformation morale de la nature qui, de tout temps, a été considérée par Novalis comme l’objet idéal de l’activité humaine.

Par malheur, Novalis ne put écrire que le premier chapitre de cette œuvre énorme : il l’acheva au mois d’avril de l’année 1800. Et la vérité m’oblige à dire que ce premier chapitre, tel que nous le possédons, ne ressemble guère au prologue d’un nouvel Organum. Ce n’est rien qu’un conte entremêlé de chansons. Nous y assistons au premier voyage du jeune Ofterdingen, se rendant d’Eisenach à Augsbourg en compagnie de sa mère et d’honnêtes marchands : et sans cesse le jeune homme fait quelque rencontre qui l’émeut ou qui le ravit, sans cesse il découvre avec plus de joie l’infinie diversité des hommes et des choses ; et les marchands, et les maîtres des châteaux où il loge en chemin, et des inconnus dans les auberges de la route, et un ermite qui rêve et prie au cœur d’une montagne, et une belle esclave mauresque ramenée de la Croisade, chacun a une histoire à lui raconter, jusqu’à ce qu’enfin, arrivé à Augsbourg, il aperçoit la charmante Mathilde