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le nom lui-même de la science. « En chacun de nous il y a deux hommes, le savant, celui qui a fait table rase, qui, par l’observation, l’expérimentation et le raisonnement veut s’élever à la connaissance de la nature, et puis l’homme sensible, l’homme de tradition, de foi ou de doute, l’homme de sentiment qui pleure ses enfans qui ne sont plus, qui ne peut, hélas ! prouver qu’il les reverra, mais qui le croit et qui l’espère, et qui ne veut pas mourir comme meurt un vibrion, qui se dit que la force qui est en lui se transformera. Les deux domaines sont distincts et malheur à celui qui veut les faire empiéter l’un sur l’autre, dans l’état si imparfait des connaissances humaines ! » Cet état si imparfait des connaissances humaines, à vrai dire, beaucoup de gens le soupçonnent, mais il importe qu’il ait été proclamé par l’homme de notre temps qui a pénétré le plus avant dans les secrets de la vie.

Il y a plus, et Pasteur ne se contente pas de réclamer en faveur de la croyance et du sentiment. C’est au nom même de la raison qu’il condamne une science courte et qui croit se suffire à elle-même. C’est au nom des principes du positivisme qu’il reproche à certains des adeptes de cette doctrine de ne pas tenir compte de la plus importante des notions positives, celle de l’infini. « Celui qui proclame l’existence de l’infini, et personne ne peut y échapper, accumule dans cette affirmation plus de surnaturel qu’il n’y en a dans tous les miracles de toutes les religions ; car la notion de l’infini a ce double caractère de s’imposer et d’être incompréhensible. Quand cette notion s’empare de l’entendement, il n’y a qu’à se prosterner… » Il avait soin d’ajouter que l’humanité ne se montre nulle part plus noble que dans cette méditation de l’infini, inspiratrice de tout ce qui se fait de grand dans le monde. « Heureux celui qui porte en soi un dieu, un idéal de beauté, et qui lui obéit ; idéal de l’art, idéal de la science, idéal de la patrie, idéal des vertus de l’Évangile ! Ce sont là les sources vives des grandes pensées et des grandes actions. Toutes s’éclairent des reflets de l’infini. » Ainsi, ce n’est pas assez de dire qu’il écartait la prétention de supprimer, par une révolte puérile de l’entendement, l’existence du mystère, mais pour lui la pensée prouvait son étendue justement alors qu’elle se heurtait à ce dessous mystérieux où les choses nous échappent, et louchait par une sorte de tact de l’esprit ce mystère dont nous sommes enveloppés.

Tels sont quelques-uns des traits de la figure de Pasteur, au témoignage d’un homme qui l’a connu de tout près. Et c’est bien pourquoi il n’est aucun lecteur qui ne puisse trouver dans cette Vie de Pasteur