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matière à s’instruire et peut-être occasion à se réformer soi-même. Car sans doute les ignorans et les humbles comme nous, auront ici le plus admirable modèle sur lequel ils puissent tenir leur esprit fixé. Mais ceux mêmes qui ont été le plus richement doués des dons de l’intelligence et qui ont encore développé ces dons naturels par une large culture, peuvent de toutes façons se mettre à l’école de ce savant. Il est l’auteur d’une œuvre qui, à ne l’apercevoir même que par l’extérieur, apparaît considérable ; il a apporté des méthodes nouvelles et dont la fécondité est attestée chaque jour par une série de découvertes qui en sont les conséquences ; il a révolutionné la science ; en nous révélant le rôle des infiniment petits, il a ouvert à la pensée des perspectives infinies ; si grands sont les services qu’il a rendus, que c’en est encore le moindre d’avoir sauvé des contrées entières de la misère et des industries de la ruine ; il a lutté victorieusement contre la maladie et la mort, rayé de la surface de la terre des fléaux dont le souvenir assombrit l’histoire, fait taire des cris que la douleur n’avait cessé de pousser à travers les siècles, épargné à des milliers de créatures aimantes les deuils les plus atroces, et fait courir à travers l’humanité, avide de moins souffrir, une immense espérance qui ne sera pas déçue ; et d’une œuvre si magnifique, il n’a tiré ni vanité pour son esprit, qui en avait été l’ouvrier, ni confiance présomptueuse en cette science, qui en avait été l’instrument. Il s’est gardé de toutes les ambitieuses chimères. Il n’a prétendu ni organiser scientifiquement l’humanité, ni organiser Dieu. Il n’a essayé de ruiner aucun des appuis dont l’âme humaine a de tout temps étayé sa faiblesse. Il n’a voulu arracher du cœur de l’homme aucun des sentimens qui y sont comme la chair de sa chair. Voilà par où son exemple mérite d’être proposé à tous ceux qui, n’ayant ni trouvé la dissymétrie moléculaire, ni découvert les organismes microscopiques, ni pénétré le secret des fermentations, ni guéri la rage, ni fait avancer la science d’un pas, ni peut-être compris ce que c’est que la science, tranchent avec tant d’assurance et un si imperturbable dogmatisme des questions qui d’ailleurs ne sont pas du domaine de la science, et donnent au monde le spectacle affligeant et scandaleux de leur superbe insuffisance.


RENE DOUMIC.