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là, dans ce petit salon, son œuvre, décoré, paré par ses soins, l’homme qui intéresserait Antoinette, qui la tenterait d’essayer un nouveau pacte avec la destinée !… Ah ! la douloureuse, la misérable crise, encore endolorie par le remords de sentir avec tant d’égoïsme et de ne pouvoir s’en empêcher !… Et c’était la petite Éveline qui l’avait, sans le savoir, l’innocente bienfaitrice, aidé à en sortir. Comment ? Par sa seule existence. Un bien simple incident avait servi d’occasion. Philippe avait déjeuné rue de Lisbonne, ce jour-là, cinq mois environ après la mort d’Albert Duvernay. L’enfant s’était trouvée en tiers entre Antoinette et lui, sans la gouvernante anglaise qui l’avait élevée, et qui, d’ordinaire, le matin, mangeait à table. En réponse à l’étonnement de d’Andiguier, Mme Duvernay lui avait expliqué que cette personne, rappelée subitement à Londres, par une grave maladie de son père, avait dû les quitter et qu’elle ne pourrait sans doute pas revenir, à cause d’une difficulté de famille. D’Andiguier savait que cette gouvernante était très aimée d’Éveline, et il s’était étonné, tandis que sa mère parlait, de ne la voir manifester aucun signe d’émotion. Après le repas, elle avait demandé la permission d’aller ranger quelque chose dans sa chambre, et il avait dit cet étonnement à Mme Duvernay.

— Vous la croyez indifférente, avait répondu celle-ci : Venez, et elle avait entraîné d’Andiguier jusqu’à la chambre de la petite fille, qu’ils avaient surprise, couchée sur son lit, en train de sangloter convulsivement. Après avoir apaisé l’enfant à force de caresses, et, une fois en tête à tête, la mère avait repris :

— Vous voyez comme vous vous trompiez tout à l’heure… Elle est ainsi : plus elle est remuée, plus elle se tait… Je me retrouve toute en elle, et cela m’inquiète beaucoup pour son avenir. Je sais trop le mal que cela fait de se concentrer, de vivre sur soi, de sentir en dedans, de ne jamais s’ouvrir… C’est une des raisons, quand je n’en aurais pas d’autres, pour lesquelles je ne me remarierai jamais. J’aurais trop peur de lui donner un beau-père, quel qu’il fût…

Cette petite scène avait été une grande date pour d’Andiguier. Elle avait marqué le tournant de la quatrième étape, — la dernière. Il connaissait trop son amie pour n’être pas sûr qu’elle avait parlé intentionnellement. Elle avait deviné ses inquiétudes et elle avait tenu à y mettre fin d’un coup. Cette déclaration,