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I. — COMMENT LA CHINE A PRIS UNE PLACE DANS LA SOCIETE INTERNATIONALE

Je ne perdrai pas mon temps à démontrer qu’il y a une « société internationale. » Non seulement cette société existe, mais elle est un de ces rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses. On ne fait pas à l’instinct de sociabilité sa part en le confinant dans la famille, dans la tribu, dans l’Etat même ; il pousse des racines plus profondes et rapproche les peuples des peuples. L’évidence de cette loi, déjà signalée par Sully dans un mémoire au roi Henri IV, éclate au grand jour dans la seconde moitié du XIXe siècle. Le droit international, qui manquerait à son rôle, s’il se modelait sur de vieilles coutumes et s’il se figeait dans des formules surannées, a suivi la marche progressive du genre humain. Nous ne sommes plus au temps de Pufendorf et de Vattel. L’enseignement des maîtres s’est transformé. « Chaque État, disent MM. de Holtzendorff et Rivier dans leur Introduction au droit des gens, voit, dans la nécessité naturelle et inévitable d’avoir des rapports avec l’étranger et dans l’impossibilité de s’isoler complètement, un fait qui n’a pas besoin d’être prouvé et s’explique de lui-même. » On lit dans le Traité de droit international de M. F. de Martens : « En vue de leur progrès et de celui des citoyens, les États doivent entrer en relations entre eux… Dans l’accomplissement de leurs devoirs essentiels, ils dépendent les uns des autres. » M. H. Bonfils, l’éminent professeur de la Faculté de Toulouse, écrivait à son tour : « Les États modernes voient dans leurs rapports avec d’autres États une nécessité complètement soustraite à leur bon plaisir. »

Telle est d’ailleurs la nécessité des relations internationales que les peuples les moins disposés à subir une règle commune de devoirs et de droits réciproques ne sont point parvenus, même dans des temps reculés, à s’isoler complètement. Les rapports des étrangers avec la Chine étaient assez fréquens dès le IXe siècle de l’ère chrétienne pour que 120 000 d’entre eux eussent péri dans la capitale du Tché-Kiang, emportée d’assaut par un chef de rebelles. Même avant le traité de 1537, la soie pénétrait en Europe par l’intermédiaire des Boukhares et des Persans, tandis que les Chinois allaient faire le commerce jusqu’en Arabie et en Égypte[1]. En 1537, les Portugais fondèrent leur établissement

  1. E. Bard, Les Chinois chez eux, p. 202.