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Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 162.djvu/587

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l’égard de Richelieu. Or, parmi ceux qu’il inspirait, l’impopularité n’a pas la gravité ni la généralité auxquelles on pouvait s’attendre ; elle ne dépasse pas celle à laquelle n’échappent jamais les gouvernemens qui gèrent avec fermeté et intelligence de l’avenir, au prix de lourds sacrifices, les intérêts permanens d’un peuple. Ce qui domine chez les contemporains, à part les réserves que nous ferons tout à l’heure, c’est la satisfaction à laquelle les Français furent toujours si sensibles, de se sentir gouvernés et bien gouvernés ; c’est l’orgueil patriotique, c’est une crainte respectueuse, c’est l’admiration. Qu’on écoute les écrivains qui, de son vivant et au lendemain de sa mort, ont exprimé sur lui l’opinion de l’élite de la société : Malherbe, Balzac, Fontenay-Mareuil, Montglat, Mme de Motteville, Goulas, Voiture, Retz, La Rochefoucauld, tous rendent hommage à son génie, les uns de bon cœur et même avec enthousiasme, les autres parce qu’ils ne peuvent s’empêcher de reconnaître une importune vérité. C’est déjà l’histoire qui parle par l’organe de ces témoins passionnés, dont plus d’un ne s’est probablement pas fait faute de répéter les propos mis en circulation par les libelles, mais qui, le jour où ils ont cru s’adresser à la postérité, n’ont pu se défendre de le faire en historiens. Un air imposant de grandeur commençait déjà à apparaître comme le trait dominant du caractère et de la carrière de celui qui avait laissé après lui tant de ressentimens et à discréditer ou à réduire à une importance secondaire les imputations répandues par la satire sur l’homme public et l’homme privé. Ces imputations continuaient toujours pourtant à fournir des armes à une opposition où entraient des rancunes personnelles et des rancunes de classes, l’impatience de toute autorité, la lassitude causée par tous les pouvoirs qui durent et qui tendent sans relâche les ressorts de l’énergie nationale, l’humeur critique des idéologues, l’instinct anarchique de la lie du peuple. « M. le curé de Saint-Jean, docteur de Sorbonne et grand homme de bien qui a un amour passionné pour V. E., — écrivait à Richelieu, le 8 août 1636, un dominicain qui lui était tout dévoué, le P. Carré, — me disait que le peuple de la bourgeoisie (sic) estoit à présent appaisé et qu’il ne fallait craindre que les gros millords qui ne peuvent supporter votre très sage gouvernement et la racaille du peuple, comme crocheteurs, etc. C’est pourquoi, sauf meilleur avis, V. E. me pardonnera si je prends l’hardiesse de lui représenter en toute humilité qu’elle ne devrait pas aller