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par la ville si peu gardée et accompagnée comme on m’a dit qu’elle fait à présent[1]… » À ces deux classes d’ennemis placés aux deux extrémités de la société il faut joindre une minorité d’intellectuels, esprits chagrins et chimériques, contempteurs systématiques de toute autorité, qui se piquaient de n’être pas dupes du prestige et de la séduction que Richelieu exerçait sur la majorité de la classe lettrée et particulièrement sur tous ceux de cette classe qui appartenaient au clergé ; ceux-là ne voulaient voir dans Richelieu qu’un tyran, et de ceux-là le type le plus caractéristique fut peut-être ce parfait original de Gui Patin.


VI

La postérité a donc commencé pour Richelieu dès le lendemain de sa mort ; on peut même dire de son vivant. C’est avec le caractère d’un grand homme d’Etat qu’il est entré dans l’histoire. Ce caractère a été confirmé par les succès posthumes de sa politique et de son administration ; nous voulons dire, par les traités de Westphalie et des Pyrénées, par l’omnipotence et l’éclat de la monarchie de Louis XIV, bien que la monarchie despotique de Louis XIV soit plutôt une déviation qu’une évolution logique de la monarchie pure conçue par Richelieu. Ni l’avènement du dogme de la souveraineté populaire, ni la substitution de la politique des nationalités à la politique d’équilibre n’ont sensiblement porté atteinte à son prestige, et il semble que ce prestige a dû se ressentir moins encore de la campagne de diffamation dont nous venons d’étudier l’inspiration et les procédés dans l’œuvre de celui qui l’a menée avec le plus de persévérance et de verve. Il n’en a pourtant pas été ainsi.

Dans cette campagne, certains moyens d’attaque n’ont eu, il est vrai, qu’un effet restreint et passager ; la thèse d’un Richelieu rêvant d’usurper la couronne, comme les Guises avaient failli le faire, cette thèse si familière à la polémique du temps n’a peut-être pas fait, même à l’époque où elle s’est produite, beaucoup de dupes et n’est arrivée en tout cas jusqu’à la nôtre que comme une balle morte sur un but hors de portée, mais celle qui l’a présenté comme un tyran, mais les imputations dirigées contre l’homme même sont entrées et sont restées dans les parties vives.

  1. Archives des Affaires étrangères, France, 821, fol. 166.