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qui avaient reçu de leur naissance la charge de la défendre, charlatanisme démocratique, individualisme anarchique, c’est l’honneur de sa mémoire d’avoir à redouter tout ce qui met en péril l’unité morale sur laquelle s’appuie, à travers les fortunes diverses des générations et les variétés ethniques, l’existence nationale. Il ne nous appartient pas de rechercher pourquoi ce mouvement de désagrégation sociale a encore laissé cette mémoire si grande ; d’expliquer comment un homme qui eut le courage de tout sacrifier à l’intérêt public, qui heurte autant notre insouciance et notre dilettantisme par le sérieux qu’il mit à tout, qui a écrit, notamment sur le peuple et sur le danger de la clémence, des vérités si déplaisantes pour nos illusions et notre sensiblerie, qui eut au suprême degré ces entrailles d’Etat que Metternich admirait chez son maître, l’empereur François ; comment cet homme règne encore, après deux siècles et demi qui ont changé tant de choses, sur les esprits sinon sur les cœurs ; pourquoi il est un de ceux chez qui le pays va d’instinct admirer, quand il veut fortifier sa confiance en lui-même, les qualités fondamentales de notre race. C’est en cherchant à déterminer l’influence de la polémique hostile à Richelieu que nous avons été amené à indiquer comment sa mémoire est encore intéressée dans les vicissitudes de l’esprit public ; nous reviendrons à notre sujet en constatant qu’à l’origine des altérations avec lesquelles elle est arrivée jusqu’à nous, on trouve des pamphlets, que, dans le courant d’opinion qui s’est établi sur son compte et où domine l’admiration à l’exclusion de la sympathie, une littérature passionnée, sans scrupule, a apporté un élément suspect, infiltré un venin qui n’est pas resté inoffensif.


G. FAGNIEZ.