Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 162.djvu/605

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous entrions dans Paris par la porte de la Muette, ces pensées occupaient, comme les nôtres, l’esprit du général. On pressentait que, dans la sauvage agonie qui s’apprêtait, des drames allaient s’accomplir dont nul ne pourrait conjurer l’horreur : car il fallait vaincre, et ce serait, on le savait, au prix d’une lutte barbare : on disait les avenues minées, les dépôts de dynamite, accumulés pendant le siège, prêts pour l’explosion, les barricades dressées, de toutes parts, comme des forteresses. Quand on parle aujourd’hui de la semaine sanglante, on ne songe qu’aux victimes populaires : on en grossit le nombre pour enflammer les ressentimens : trente mille, dit-on, et le chiffre est devenu classique, bien loin pourtant de la vérité : car, après la lutte terminée, lorsqu’on eut enterré les cadavres, les rapports officiels adressés au gouverneur par le chef de la police municipale, donnèrent un total de sept mille morts. Mais les soldats ! on les oublie, il en est qui les accusent : or ils furent 6 500, tués ou blessés, pendant le siège et la bataille, atteints par les obus, tombés aux coins de toutes les rues, fauchés par le canon des barricades, frappés du haut des fenêtres, surpris la nuit, en faction devant les bivouacs ! Peut-être, exposés à ce feu constant, à ces embûches continuelles, eurent-ils parfois des élans de vengeance : c’est le fatal destin des guerres civiles. Qui les condamnera ? Qui pouvait les arrêter ?

Le général voulut du moins que, le combat suspendu, le corps à corps interrompu, il n’y eût plus de sang versé. Les prisonniers lui furent sacrés comme ceux de la guerre étrangère : soldat jusqu’au plein accomplissement de sa tâche austère, il refusa d’être bourreau, et ne se crut pas le droit d’être justicier. Dans toute la zone, conquise et occupée par son corps d’armée, de la place de l’Étoile à Montmartre et à Belleville, il n’y eut ni cours martiales, ni jugemens improvisés. Même il eût souhaité, songeant au lendemain, épargner au pays le déplorable fardeau de cette foule misérable, conduite aux prisons de Versailles, qui forma, bientôt, l’armée de la déportation, et conserva, pour l’avenir, le terrible amas de haine et de farouche espoir, rapporté plus tard par les survivans du bagne à la population parisienne. Je me souviens du geste désolé, par lequel il marqua sa muette horreur quand, parvenu sur la place de Belleville, il aperçut la multitude des captifs entassée dans l’église !

Et cependant, à cette heure, sur cette même place, on venait de lui dire le massacre des otages, les prêtres, les gendarmes,